Soft corps
Le film de 1974 est la figure de proue du « softcore », cinéma érotique plus léger capable de toucher un très large public (plus de 8 millions en France !) en pleine explosion de la pornographie hard. On s’amuse souvent de ses scènes de sexe simulées à outrance, en oubliant qu’Emmanuelle s’y épanouit par le viol, ou même cette séquence délirante où la caméra s’attarde de longues secondes sur une locale qui fume une cigarette par la vulve.
Il va de soi que Diwan et Zlotowski n’avaient pas l’intention de prolonger l’héritage d’un long-métrage indissociable de son temps, qui a de toute façon inspiré une saga aussi abracadabresque qu’interminable, sans même compter ses copies plus ou moins racoleuses. Les scénaristes reviennent non pas à l’histoire originale, mais à son principe nu : Emmanuelle est une bourgeoise débarquée dans une ville d’Asie (Bangkok dans le roman, Hong-Kong ici), qui y explore les plaisirs de la chair, mais surtout apprend à sortir de sa zone de confort sexuel, métaphoriquement et géographiquement.
A première vue, elles modernisent à la fois l’intrigue et la protagoniste. Autrefois femme de diplomate, Emmanuelle est désormais un « requin » des hôtels de luxe, envoyé par la maison-mère redresser un établissement et sa directrice (Naomi Watts). Mais étonnamment, elles évacuent de fait des thématiques très actuelles, comme le couple libre. La dimension intertextuelle est même vaguement pastichée à travers le personnage de Zelda (très sensuelle Chacha Huang), qui se présente comme étudiante en littérature. Le seul vrai maître mot est le minimalisme.
A une époque où la pornographie a inondé le web, Diwan assume une luxure glaciale dont elle ne s’éloignera jamais, ou presque. Le film emprisonne son spectateur dans les halls vides, les couloirs dorés et les chambres immaculées de l’hôtel archi-huppé pendant la majeure partie du récit. Les personnages, à commencer par l’objet du désir incarné par Will Sharpe, sont autant de fantômes qui le hantent. Emmanuelle est d’ailleurs plus attirée par la structure métallique de cette perfection factice que par ses habitants (explicitée dans une scène de non-amour introductive), du moins jusqu’à ce que la silhouette de Sharpe la pousse à en sortir.
A ce titre, le changement de casting très commenté va dans le sens de l’évolution du scénario. Fut un temps, c’était Léa Seydoux qui devait enfiler la lingerie. Et il faut reconnaitre que la première partie, d’une froideur planifiée, lui sied bien. C’est, en revanche, lorsqu’elle s’émancipe, toutes mesures gardées, que la sensualité plus ordinaire (on se rappelle Jumbo et ses amourettes de foire) de Noémie Merlant s’accorde aux enjeux.
Je te baise moi non plus
Petit détail qui piquera la curiosité des amateurs de cinéma HK : le légendaire Anthony Wong tient un petit rôle. C’est plus qu’un détail, à vrai dire : la péninsule, autrefois haut lieu de liberté artistique (et généreux en films érotiques), a connu le parcours inverse de l’héroïne une fois rendue à la Chine. Emmanuelle, si austère qu’il n’excitera pas grand-monde, distille donc des envies d’ouverture au sein d’une forteresse bling bling où chaque désir, chaque envie, chaque fantasme est contrôlé en réunion plénière.
C’est à la fois ce qui fait son originalité, ce qui permet de passer outre son esthétique mal aimable, et ce qui dicte ses limites. Car les scénaristes ont eu l’idée saugrenue, risquée et radicale d’implémenter cette lassitude aux quelques scènes de sexe. Résultat : les parties de jambes en l’air attendues sont à peine des vignettes servant à faire avancer le scénario, le comble dans un film Emmanuelle ! Si vous espériez contempler un plan à trois endiablé, vous risquez d’être déçus.
Au contraire, la mise en scène s’attarde de plus en plus sur une sexualité… indirecte. En fait, ce sont les seules vraies séquences érotiques du long-métrage, lequel cherche clairement à décrire une quête de trivialité qui passe par la déconnexion des corps. Emmanuelle s’éloigne de ses partenaires pour trouver leur authenticité. Une approche quasiment provocatrice du genre et qui se concrétise avec plus ou moins de réussite. La fameuse scène de photos avec glaçons, inévitable à l’ère du sexting, est effectivement assez ratée. En revanche, le final pousse le raisonnement dans des retranchements assez fascinants, d’autant qu’il s’amuse à définitivement frustrer son public.
L’expérience est déroutante, parfois énervante, mais finalement symptomatique de la sexualité contemporaine, vivotant entre le détachement, la frustration et carrément le ras-le-bol (percé à jour, le personnage de Will Sharpe en dit long). En février 2024, une étude Ifop pour la marque de sextoys Lelo, remarquée par France Inter, rapportait une baisse de l’activité sexuelle chez les jeunes de 18 à 24 ans. Ce drôle de film érotique, où on se libère à la fois de la norme et de l’étreinte, est à leur image. A dessein ou pas, il restera probablement un miroir déformant bizarre. Comme son modèle.
Un film que même en vod je ne regarderai pas… j’avais déjà évité l’original.
Il faudrait surtout remettre ce film dans le contexte qui lui sied : celui de la filmographie de Audrey Diwan.
C’est son point de vue personnel, donc c’est ça qui compte le plus.
Vers le début de l’article, se suivent une évocation du viol dans la version d’origine et une évocation d’un redressement professionnel dans la version actuelle. J’aurais trouvé ça naturel qu’on en profite pour s’interroger sur une notre époque qui réagit (ou fait semblant ?) au manque de respect du principe du consentement en matière de relation sexuelle quand pour tout le reste des relations sociales on serait plutôt dans des logiques (mais encore ici on fait peut-être semblant) de durcissement du principe du désir-maître et de subordination. Alors… est-ce que ce film parle de cette dimension, du fait que les relations sexuelles soient des relations sociales très particulières certes mais des relations sociales quand-même, et que finalement les individus doivent trouver une cohérence dans toutes pour pouvoir se sentir exister ? Alors… j’ai l’impression que le film pourrait finalement représenter une atomisation de la sexualité, avec l’éloignement, autant qu’on peut le vivre en entreprise ou dans son corps social… est-ce qu’il propose même la représentation d’une anomie ? Cet article me semble bien mystérieux, je n’arrive pas à comprendre de quoi parle le film au final… j’ai peut-être manqué d’attention…
Ca as l’air aussi torride que les vieux téléfilms érotiques M6 de seconde soirée.
à l’heure du porno accessible à tous, l’érotisme, lui, semble être devenu désuet.
Peut-être aussi, faudra t’il s’avouer que les films érotiques rencontraient du succès auprès de ceux qui n’avaient pas encore l’accès à la pornographie (la plupart des hommes dans les années70,80). Si le romantisme, a plus souvent tendance à attirer les femmes sans avoir besoin de montrer d’érotisme, la plupart des hommes eux cherchent souvent de la pornographie.
Le film érotique se trouve là, entre romantisme (dénué de sexualisation, mais plein de sentiments) et le porno (plein de sexualisation, mais dénué de sentiment)
C’est un genre de niche, dont les grandes heures sont derrière lui.
Aujourd’hui, chacun trouvera son compte d’un côté ou de l’autre, mais peu trouveront leur compte dans les films érotiques.
Faut choisir : comédie romantique de Noël ou PornHub…
La présence de Noémie Merlant n’arrive pas donc à rehausser ce remake molasson. Personne n’ira la voir pour ses seuls charmes qu’elle a déjà montré ailleurs ou simplement son talent qui n’est nullement mis en valeur. Point de feu cette fois-ci.
Et si finalement c’était elle le problème du film.
Peut-être aurait-il mieux valu avoir plus d’audace dans le casting pour le rôle d’Emmanuelle ?
Pourquoi Emmanuelle serait-elle assignés par des conceptions d’un autre age à être forcément une jeune femme talentueuse et attirante ?
D’autres personnalités auraient sans doute apporter plus de hype au projet :
Aya Nakamura, Florence Foresti, Nabilla, Roseline Bachelot, Marilou Berry, Lolita Banana, Kev Adams (ad lib)
Effectivement, pour reprendre un commentaire précédent, ce remake n’a aucun intérêt si c’est pour avoir un produit aseptisé. L’original est sorti à une époque où la sexualité se libérait et c’est pour ça qu’il a eu du succès. On voyait souvent des corps dénudés ou des scènes de sexe explicites dans de nombreux films dans les années 70 puis dans les années 80. Ca choquait le bourgeois. Aujourd’hui, le sexe est sur internet, les sites de rencontre, les réseaux sociaux… Certains couples filment leurs ébats pour les diffuser au monde entier. Paradoxalement, le cinéma lui est devenu ou redevenu chaste comme avant les années 70.
Je n’ai vraiment aucune envie de voir ce nouveau film Emmanuelle. L’original, à mes yeux, est un pur produit générationnel des bobos des années 70. Avec cette énième tentative de surfer sur la vague de la nostalgie, on se retrouve encore face à un projet qui, comme l’original et ses suites, n’est finalement qu’un film érotique bon à être diffusé tard sur M6 après Culture Pub. Ce genre de référence ne parle qu’aux plus anciens, mais franchement, est-ce que ça a vraiment un sens aujourd’hui ? Nostalgie ou non, ça reste un cinéma d’une époque révolue.
« critique qui se voile la fesse » : bravo. Respect, tout est dit.
D’ailleurs je serai producteur, je ferai un film qui envoie du lourd niveau fantasmes, parce que les navets 50 nuances etc, ça plait à qui honnêtement ?