L’esbroufe du maître du jeu
Le jeu, Escape room, Escape game… les studios semblent considérer qu’il existe un plaisir supérieur à voir d’autres personnes s’amuser sans nous, à l’image de ce pote de 6eB qui nous invitait à jouer à la console, mais gardait la manette en main du début à la fin de la soirée. Jeu intérieur a, pour lui, son concept rigolo de Loup-Garou de Thiercelieux en mode body swapping. Le scénario entend mêler horreur, thriller psychologique et science-fiction, comme si Marie-Ange Nardy présentait un Qui est qui du futur dans un manoir hanté.
Soucieux de créer sa petite hype, la réalisation en fait des tonnes (avec succès puisque Netflix l’a acquis suite à un passage remarqué par Sundance). Entre les inserts hallucinés, les travellings circulaires à rallonge, les zooms abrupts, le split screen de la défonce ou la bande-son gérée par un disc-jockey hyperactif, les effets de rupture permanents génèrent dans les premières bobines une atmosphère de décalage intrigante.
La tonalité est à l’avenant de cette arythmie : entre deux apartés sarcastiques très contemporains, une simple scène de retrouvailles entre potes est filmée comme un final de comédie romantique. En découle un feeling nawak pas déplaisant, qui laisse à penser que Jeu intérieur pourrait bifurquer à tout moment dans n’importe quelle direction.
Greg Jardin, dont il s’agit du premier long-métrage, met tout à l’écran, sans qu’on fasse immédiatement la part d’immaturité ou de manœuvre savante pour délayer nos repères. Mais pour un flash-back rigolo, l’abondance d’effets tape-à-l’œil finit par paraître bien vaine, à l’image de cette colorimétrie anarchique étalée à grand renfort de néons.
Un défaut incompréhensible de caractérisation
Quiconque s’y est déjà risqué sait que les jeux à identité secrète peuvent réchauffer l’ambiance… ou briser des amitiés, entre manque de fair-play, alliances contre nature et duplicité troublante. Les protagonistes de Jeu intérieur n’avaient manifestement pas cette éventualité en tête en se lançant dans la partie : la soirée vire au règlement de compte entre potes façon repas de famille dans un film français.
L’échange de corps à huis clos s’y prêtait. Il y avait matière à accentuer le malaise de l’incertitude et à transposer le ludisme du concept en permettant au spectateur de s’investir dans ce jeu de devinettes, tout en développant un petit propos malin sur l’image que nous cultivons.
Mais pour que cela fonctionne, il aurait fallu profiter des premières bobines pour caractériser un minimum ses protagonistes plutôt que de miser sur l’esbroufe. Car à part quelques bribes (le couple qui a des problèmes, l’inévitable influenceuse) on serait bien en peine d’accoler ne serait-ce qu’une épithète aux huit énergumènes lorsque débute le premier round.
Résultat, on se désintéresse largement de leurs disputes, secrets et coucheries, faute d’avoir le moindre élément de personnalité tangible auquel se raccrocher. Même la maison est cruellement sous-exploitée, la sculpture de vagin façon Saint-Sébastien se sentant bien seule en termes d’incongruité. Rien qui puisse nous distraire de la tâche mentale harassante qui nous occupe pendant la majeure partie du film : tenter de nous rappeler qui est censé être qui et ce que ça implique.
Jeu intérieur est disponible sur Netflix depuis le 4 octobre 2024