Retour sur Le Silence des agneaux, le thriller culte de Jonathan Demme, avec Anthony Hopkins qui déguste un foie aux fèves.
Le public a toujours été fasciné par les tueurs en série au cinéma. On ne compte plus aujourd’hui le nombre de films qui s’inspirent des meurtriers les plus célèbres de notre Histoire contemporaine, devenus depuis des figures phares du thriller psychologique, qui a connu son heure de gloire entre les années 90 et 2000. Quand on pense serial killer au cinéma, on pense évidemment à Seven (1995) et Zodiac (2007), deux oeuvres qui définiront David Fincher comme le maître du genre. Mais aussi à Memories of Murder (2003) du coréen Bong Joon-ho (Parasite), qui n’hésite pas à rappeler, lorsqu’il en a l’occasion, que son film sur la longue traque d’un tueur insaisissable est arrivé bien avant celui de Fincher.
Mais avant les films de David Fincher et Bong Joon-ho, il y a surtout Le Silence des agneaux, adaptation du second tome de la tétralogie de Thomas Harris autour d’Hannibal Lecter. Un personnage devenu indissociable depuis de son second interprète (après Brian Cox dans Le Sixième Sens), à savoir le grand Anthony Hopkins, récompensé d’un Oscar pour sa performance dans la peau du célèbre tueur en série cannibale, face à une Jodie Foster également lauréate d’une statuette pour ce thriller multirécompensé (Cinq Oscars, dont meilleur film et meilleur réalisateur).
Outre son acteur phare, le film de Jonathan Demme aura également défini les lettres de noblesse du genre pour les années à venir, engendrant un grand nombre d’héritiers qui ne parviendront jamais à égaler le modèle. On revient donc sur le chef-d’œuvre du réalisateur de Philadelphia, sur sa mise en scène virtuose et la figure du mal terrifiante qu’incarne son célèbre cannibale, afin de comprendre pourquoi Le Silence des agneaux est peut-être bien le modèle ultime du film de serial killer.
Le Dr Lecter est prêt à vous recevoir
L’Œil du Mal
Lorsque le scénariste Ted Tally adapte Le Silence des agneaux au cinéma (ce qui lui vaudra un Oscar du meilleur scénario adapté), il s’agit de la deuxième adaptation de l’œuvre de Thomas Harris, après Le Sixième Sens (Manhunter en VO) de Michael Mann, adapté quant à lui du premier roman de la tétralogie, Dragon Rouge, qui sera de nouveau mis sur pellicule par Brett Ratner en 2002. Là où le film de Michael Mann était avant tout une brillante réflexion qui questionnait la violence à travers les images, Jonathan Demme choisit d’interroger la question du mal incarné à travers notre perception première, à savoir le regard.
L’un des gimmicks les plus récurrents et identifiables du cinéma de Jonathan Demme est sans aucun doute son utilisation du plan subjectif, où la caméra se place à travers le regard de ses personnages et leur perception du monde qui les entoure. Avant Andrew Beckett (Tom Hanks), l’avocat homosexuel séropositif de Philadelphia, c’est à travers les yeux de Clarice Starling (Jodie Foster) que l’on perçoit le mal, qu’il soit tapi dans les regards méprisants de ses collègues (dans un monde aussi masculin que celui du FBI), ou dans les yeux du Dr Hannibal Lecter (Anthony Hopkins).
Envoyée telle une brebis parmi les loups par son supérieur Jack Crawford (Scott Glenn), Clarice se retrouve sortie de son quotidien (le film s’ouvre sur la jeune femme qui fait son jogging dans une forêt brumeuse) pour aller affronter le mal en personne. De la même manière que le père Merrin est interrompu pendant sa promenade pour aller affronter le diable dans L’Exorciste. La référence totalement assumée au film de William Friedkin n’est pas anodine, puisque comme L’Exorciste, Le Silence des agneaux se veut une véritable réflexion sur le mal à l’état pur.
Que ce soit à travers la figure du cannibale ou à travers le personnage de Buffalo Bill (Ted Levine), le tueur en série qui pousse Crawford à envoyer Clarice faire appel aux services de Lecter pour l’arrêter (à l’image du profiler Will Graham, incarné par William Petersen, dans Manhunter). Après tout, qui de mieux qu’un ex-psychiatre cannibale pour rentrer dans la tête d’un tueur en série psychopathe ? Qui de mieux que le mal personnifié pour comprendre le mal incarné ?
Dès leur première rencontre, Jonathan Demme filme le face-à-face entre la Belle Clarice et la Bête Hannibal à coups de champ contre champ subjectif, où notre regard de spectateur est plongé dans les yeux du mal, par le biais de la perception d’une femme qui comprend mieux que personne les victimes de Buffalo Bill. Alors que le rôle de Clarice Starling devait initialement revenir à l’actrice Michelle Pfeiffer, c’est finalement Jodie Foster (fraichement oscarisée à l’époque pour Les Accusés) qui a réussi à convaincre le réalisateur en partageant son point de vue sur le scénario de Ted Tally qui, selon elle, raconte l’histoire d’une jeune femme qui essaie d’en sauver une autre.
Si Hannibal Lecter représente donc le double de Buffalo Bill (et du mal), Clarice représente quant à elle la jeune femme enlevée par le tueur (et donc l’innocence, par définition). Et tout le film consiste à montrer progressivement le mal corrompre cette innocence, à travers ce qui peut-être vu comme une confrontation, ou bien une histoire d’amour à la fois fascinante et morbide, au sein de laquelle le Dr Lecter déploie sa fascination pour la belle Clarice (une dualité que Ridley Scott développera davantage dans sa suite, Hannibal).
Pour représenter le serial killer ultime, en la personne de Buffalo Bill, l’auteur Thomas Harris s’est inspiré des tueurs en série les plus tristement célèbres de l’histoire américaine, dont Ted Bundy et Ed Kemper, le second apparaissant notamment dans la série Netflix Mindhunter, produite par David Fincher (de quoi boucler la boucle). Cette volonté de représenter le mal pur et simple est donc déjà inscrite dans le matériau d’origine du Silence des agneaux, ce qui insuffle au film de Jonathan Demme une ambition qui va bien au-delà du simple thriller, puisqu’il est question ici ni plus ni moins, que de dresser une étude comportementale autour de la figure du serial killer.
Ainsi, à travers le personnage de Clarice, le spectateur descend progressivement dans les abîmes du mal, perdant peu à peu son innocence face à celui-ci, qui gagne du terrain, à l’image de Lecter qui s’évade peu à peu de sa cellule de verre pour toucher littéralement du bout du doigt l’objet de son désir, qu’il convoite tel un prédateur face à sa proie. Au fur à mesure de leurs rencontres, le verre en plexiglas qui sépare Lecter et Clarice laisse place à des barreaux, qui finissent par disparaître progressivement, à l’image du psychiatre qui rentre petit à petit dans la tête de la jeune profileuse. Avant d’établir un premier contact physique avec cette dernière en effleurant son doigt, marquant ainsi le début de son évasion.
Lorsque Buffalo Bill tente d’effleurer à son tour Clarice (dans un climax en vision nocturne ahurissant), il se brûle littéralement les ailes de son corps métamorphosé (à l’image des papillons de sa serre), alors que le jour fait irruption pour terrasser les ténèbres. Lorsque Lecter appelle Clarice, le jour où elle reçoit sa carte d’agent du FBI, il lui demande si elle entend toujours les hurlements des agneaux qui la hantent depuis son enfance. De la même manière qu’elle ne peut promettre à Lecter de ne pas le traquer, Clarice ne peut espérer entendre un jour Le Silence des agneaux, puisque le mal reviendra dans Hannibal, un film entièrement dédié à son cannibale.
Hannibal le Cannibale
Comment pourrait-on parler du Silence des agneaux sans ne serait-ce qu’évoquer la performance d’Anthony Hopkins dans le rôle du Dr Hannibal Lecter ? En effet, c’est tout simplement impossible, tant l’acteur a contribué au statut culte de son personnage, ainsi qu’à la postérité du film de Jonathan Demme. Et pourtant, l’acteur britannique ne fut pas le premier choix de la production. En effet, c’est l’américain Gene Hackman qui détenait initialement les droits du roman d’Harris, souhaitant diriger et interpréter le rôle du cannibale dans cette adaptation. Mais il changea finalement d’avis après la première lecture du scénario de Ted Tally, jugeant le matériau beaucoup trop violent pour lui.
Tandis que Jonathan Demme reprenait le projet pour, dans un premier temps, se lancer à la recherche de sa Clarice Starling (pour le choix que l’on connaît), la production se mettait quant à elle en quête d’un nouvel acteur pour incarner le cannibale. Ce n’est qu’après avoir proposé le rôle à Robert Duvall (qui déclina l’offre) que la production s’est penchée sur le cas d’Hopkins qui reprit finalement le rôle. Et c’est assez simple : le Britannique vole à peu près la vedette à tout le reste du casting dès qu’il apparaît à l’écran … avec seulement 16 minutes de présence dans le montage final.
Si le scénario de Tally et la mise en scène de Demme se concentrent énormément sur le point de vue de Clarice Starling, l’écriture et la caméra épousant littéralement la perception subjective de son personnage féminin (Jodie Foster est créditée comme l’actrice principale du métrage). Le Dr Lecter est un personnage secondaire dans la narration, un consultant dans l’affaire Buffalo Bill. C’était déjà le cas dans Manhunter, où Brian Cox avait un temps d’apparition à peu près similaire à l’écran dans le rôle, servant également de conseiller dans l’affaire du Dragon Rouge, auprès de Will Graham.
Un Dr Lecter qui sort des études
Mais on se souvient pourtant beaucoup plus de la performance d’Hopkin que de celle de Cox (tout aussi louable soit-elle) dans le film de Michael Mann. Le Dragon Rouge de Brett Ratner est à ce titre assez révélateur du phénomène entourant le second interprète du serial killer, puisque le réalisateur va même jusqu’à mettre en scène l’affrontement entre le profileur et le cannibale dans son prologue. Un élément seulement évoqué dans Manhunter, ce qui rendait la tension entre les deux personnages beaucoup plus palpable lors de leurs retrouvailles, la rencontre se concluant par une crise d’angoisse de Graham dont on se souvient encore aujourd’hui (contrairement au film de Ratner).
Les prolongations orchestrées par Ridley Scott seront à ce titre bien plus marquantes dans Hannibal, une pure série B qui se place dans la continuité du Silence des agneaux (sans jamais chercher à copier ou à égaler le modèle). Entièrement dédié à son serial killer (cette fois omniprésent à l’écran), le film de Scott est une suite quasi directe, où le réalisateur de Gladiator achève de transformer le personnage en monstre vampirique, comme le prouve cette scène d’évasion quasi horrifique dans le premier film. Une image qui aura marqué notre imaginaire collectif au fer rouge, avec l’acteur et sa bouche ensanglantée.
Hannibal multiplie ainsi les scènes qui ne lésinent pas sur le gore (là où le film de Demme se veut plus intellectuel, privilégiant les cadavres), avec par exemple un meurtre particulièrement graphique qui n’est pas sans rappeler le Giallo italien lorsque Scott étale des boyaux sur le parvis du Palazzo Capponi, à Florence. Cette suite est également l’occasion de développer davantage le lien fusionnel entre Hannibal et Clarice (cette fois-ci incarnée par Julianne Moore), dont l’ambiguïté est bien plus appuyée (et moins subtile) que dans le film de Demme.
Si Hannibal est l’occasion pour Hopkins d’explorer encore plus la psyché de son monstre, avec un temps de présence plus important au montage, c’est bien avec Le Silence des agneaux que l’acteur britannique a récolté les louanges de l’Académie, découlant du triomphe critique et public du métrage, qui marquera le genre pour les années à venir.
Copycats
Lors de sa sortie dans les salles en 1991, Le Silence des agneaux connaît un succès commercial retentissant, amassant plus de 272 millions de dollars au box-office mondial (pour un budget de 19 millions). En France, le film rassemble plus de 3 millions de spectateurs dans les salles, récoltant également des critiques plus qu’élogieuses. En 1992, lors de la cérémonie des Oscars, Le Silence des agneaux devient le troisième film à obtenir ce qu’on appelle la quinte majeure (« Big Five » en anglais), en remportant cinq statuettes (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure actrice et meilleur scénario adapté).
Avec ses 16 minutes au compteur, la performance d’Anthony Hopkins devient la plus courte récompensée dans cette catégorie, pour un rôle qui aurait dû lui valoir une nomination au meilleur second rôle (son deuxième Oscar pour The Father est donc un peu plus légitime à ce titre). Au-delà de son succès critique et commercial lors de sa sortie en 1991, le film de Jonathan Demme aura un impact conséquent sur le genre du thriller, engendrant des héritiers plus ou moins dignes.
Après l’Alien, Ripley chasse du serial killer
Parmi les évidences, il y a notamment le mal-aimé, mais bien nommé Copycat (1995), le thriller de Jon Amiel étant un digne représentant de l’impact de son prédécesseur, dont il reprend pas mal d’éléments dans sa recette. À commencer par une héroïne dans la lignée de Clarice Starling, en la personne de la psychologue Helen Hudson (Sigourney Weaver), une célèbre experte des tueurs en série souffrant d’agoraphobie, qui se retrouve sollicitée par deux inspecteurs pour résoudre une série de meurtres visant encore des jeunes femmes.
On peut également citer Bone Collector (1999), dans lequel Denzel Washington incarne un célèbre criminologue devenu tétraplégique qui vient en aide à une jeune flic (incarnée par Angelina Jolie) pour arrêter un tueur en série. Le Silence des agneaux aura donc lancé dans les années 90 la mode des « thriller consultants », où il est question d’un expert (flic ou psychopathe, au choix) dont les services sont sollicités pour arrêter un serial killer en s’introduisant dans la psyché de ce dernier, afin de cerner le mal à la racine.
À chaque thriller culte son duo culte
Si le film de Jonathan Demme aura indéniablement ouvert la voie en relançant le film de serial killer, des cinéastes tels que David Fincher ou Bong Joon-ho creuseront leurs propres voies avec des œuvres autonomes qui s’inscriront comme des films majeurs dans le genre. À l’image de Memories of Murder ou Zodiac, qui résonneront comme des aboutissements durant les années 2000.
La question n’est donc pas finalement de savoir quel est le « meilleur » film de serial killer entre Le Silence des agneaux et Seven (les deux films ont en commun d’avoir marqué au fer rouge le genre), mais plutôt de se demander lequel aura été la matrice de toute la vague qui aura suivi. Et à ce titre, Le Silence des agneaux est peut-être bien le film de serial killer ultime. Et en attendant, on revient également sur le mal-aimé Hannibal de Ridley Scott par ici.
tire la chasse sur ton pois-chiche, le bleu!!!!
C’est un sous-genre du thriller. Le Silence des Agneaux reste assez médiocre dans le fonds, mais la réalisation centrée sur le suspense est bonne, et puis Jodie Foster brille. Mais j’ai trouvé pire encore la suite avec Ralph Fiennes. Non, moi j’aime plutôt les parodies de ces univers, comme Quand Harriett découpe Charlie et Le Silence des Jambons.
Oui, c’est un must. Le plus grand choc du genre après Psychose et Sixième Sens. Mais je place Seven, Zodiac et J’ ai rencontré le Diable au même niveau. Non loin derrière, The Chaser, Memories of Murder et Prisoners. Finalement le « Serial polar » est un genre porteur de chefs-d’œuvre.
Et cette photo de fujimoto, ce score de score.
Le film que j’ai le plus revu ever.
Master piece.
Une leçon de mise en scène, tout dans se film est parfait.
Dans le genre je suis d’accord qu’il y a Seven aussi, je cite également Prisoners, Zodiac, Psycho, Usual Suspect.
Complètement d’accord grand grand film! Pour moi, ceux qui l’égaleraient mais dans un autre style seraient l’excellent Zodiac (affaire de goût mais que je le préfère à Seven même si pas trop comparable), Memories of Murder. Bon y a aussi M le Maudit hein.
Par contre pour en revenir à Demme, c’est un réalisateur vraiment sous estimé car, hormis son Silence des Agneaux, Philadelphia ou à la rigueur le remake d’Un Crime dans la Tête son travail reste assez méconnu surtout en France.
Dangereuse sous tous rapports, veuve mais pas trop, meurtre en cascade c’est vachement bien.
Et quand je vois que le monsieur a fait plein de films que je n’ai jamais vu comme 5 femmes à abattre, Crazy Mama, colère froid, ça me donne encore plus envie de redécouvrir son oeuvre.
Sans parler de son goût pour la musique et ses formidables docus!!!
Le summum du genre avec Seven.
Très très en avance sur son temps.
Une réalisation élégante et d’une efficacité rare.
Un casting exceptionnel.
Une tension tout à long du film.
On a rarement fait mieux depuis.
Rien à redire sur ce mythe si ce n’est pour souligner encore l’intelligence de la mise en scène de demme avec tous ces regards caméra qui mettent mal à l’aise
Avec Seven et sixième sens, les trois meilleurs films de ce genre.
Quand je l’ai vu lors de sa sortie, ça été une telle claque que j’y suis retourné quelques jours après.