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Le gros bide injuste de Ladyhawke : le film oublié du réalisateur de Superman et Les Goonies

Par Ange Beuque
28 septembre 2024
MAJ : 18 octobre 2024
Matthew Broderick dans Ladyhawke : grand film de fantasy maudit ou légende médiévale bidon ?

Quelque part entre Superman et Les Goonies, Richard Donner a osé Ladyhawke, la femme de la nuit, une proposition de fantasy fascinante avec Matthew Broderick, Michelle Pfeiffer et Rutger Hauer. Qu’est-ce qui, dans sa genèse, a transformé un carton en puissance en un film mal-aimé, souvent oublié et parfois moqué ?

Les cuivres de Star Wars, la tonalité lydienne tonitruante d’Indiana Jones, Psychose et son violon, les envolées déchirantes de La Liste de Schindler… Nombre de bandes originales font à ce point partie intégrante de leur film que quelques notes suffisent à s’y replonger. Mais il arrive que la musique choisie rencontre davantage de réticences. Celle de Ladyhawke est par certains citée parmi les pires de tous les temps…

Si son côté clivant en a poussé certains à jeter le bébé braillard avec l’eau du bain, la proposition cinématographique de Richard Donner mérite la redécouverte. Avec son histoire d’amour dans un univers de fantasy médiévale, ses acteurs en vogue et son cachet d’authenticité « années 80 « , Ladyhawke ne manque pas d’arguments en dépit d’une genèse accidentée.

De l’homme d’acier à la femme faucon

De belles promesses

1985 est une grande année pour Richard Donner. Déjà auteur, entre autres, de La Malédiction et Superman, il réalise un autre classique instantané intitulé Les Goonies, en plus de se marier avec Lauren Shuler et poser les bases de leur maison de production, The Donners’ Company, qu’ils cofondent dès 1986. Malgré cet emploi du temps bien chargé, les tribulations aventureuses de Mikey, Choco, Bagou et Data ne sont pas la seule perle dont sa filmographie s’enrichit cette année-là, qui voit également Ladyhawke, la femme de la nuit sortir en salle.

L’opiniâtreté de Donner est ainsi récompensée : cela fait plusieurs années qu’il souhaite concrétiser ce projet qui lui tient à cœur. Warner Bros. et la 20th Century Fox, par l’intermédiaire de son président Alan Ladd Jr., l’ont doté d’une enveloppe solide de 20 millions de dollars pour emballer l’affaire.

La liaison dangereuse avec un loup

Dès ses premières projections, le casting envoie du rêve. Sean Connery et Mel Gibson sont envisagés pour le rôle de Navarre le revanchard. C’est finalement Kurt Russell qui tient la corde pour s’amouracher de Michelle Pfeiffer. Le duo promet des étincelles : lui est fraîchement auréolé par le terrifiant The Thing, elle sort tout juste de Scarface.

Pour le jeune pickpocket Gaston, le nom de Sean Penn est discuté avant que celui de Dustin Hoffman ne s’impose. Quant au sinistre capitaine de la garde chargé de traquer le héros, il est proposé à Rutger Hauer, qu’un larmoiement mythique sous la pluie de Blade Runner a rendu identifiable par le grand public. Mais celui-ci ne le sent pas trop, craignant d’être cantonné aux rôles de méchants pour le reste de sa carrière.

Simba le roi des presque animaux

Au box-office, la fantasy, qu’elle soit d’inspiration médiévale ou non, a le vent en poupe en ce début de décennie 80 : Excalibur de John Boorman, Le dragon du lac de feu, Bandits bandits, Dark Crystal, Conan le barbare et d’autres ont témoigné de la vitalité du genre alors que Willow se profile. À noter que le Legend de Ridley Scott sort également en 1985… et connaîtra une postérité tout aussi complexe.

Mais entre un cinéaste qui traverse une période ultra faste, un sujet prometteur et des acteurs en pleine hype, Ladyhawke semble prendre son envol sous les meilleurs auspices. Raté : il s’agissait en fait d’un faux départ.

Willow la fausse

Des réécritures massives

Il est à moitié loup, elle est faucon à temps partiel. Lui se transforme toutes les nuits, elle de l’aube au crépuscule. Inutile de vous faire un dessin : pour s’organiser un date amoureux au pied de l’arbre du pendu, c’est le genre de malédiction fantastique qui ne simplifie pas les choses. Tel est le postulat de Ladyhawke… qui a connu pas mal d’évolutions.

Si Donner est motivé par le projet, il pose d’emblée ses conditions : il ne fera le film que si le texte lui convient sans réserve. Or, s’il voit parfaitement le potentiel romantique de ce point de départ, la première mouture du scénario signé Edward Khmara (qui travaille en parallèle sur Enemy pour Wolfgang Petersen) ne le satisfait guère. Le réalisateur exige que celui-ci soit refondu en profondeur.

Avant Wolf

À l’origine, Ladyhawke était beaucoup plus axé sur l’aspect fantastique et comprenait de nombreuses créatures surnaturelles. Donner souhaite quelque chose de plus épuré, moins gourmand en effets spéciaux, et davantage articulé autour des personnages et de leurs amours maudits. D’autres scénaristes sont mobilisés en renfort.

Les réécritures se succèdent, au point que le scénario définitif n’a plus grand-chose à voir avec celui de départ. Conan le Barbare peut aller se rhabiller : les combats homériques sont remisés au vestiaire. L’heroïc fantasy a cédé le pas devant la romance fantastique.

La production s’allonge en conséquence. Richard Donner en profite pour aller tourner Le Joujou, remake de la comédie Le Jouet de Francis Veber et affaire de Richard puisque l’américain Pryor se substitue au Pierre français. Le problème, c’est que lorsque le cinéaste s’attelle de nouveau à Ladyhawke, les acteurs pressentis ne sont plus forcément disponibles.

Après Le faucon de la nuit

Dustin Hoffman hors-jeu, Matthew Broderick récupère le rôle du virevoltant voleur. Ce n’est pas forcément une mauvaise affaire : le jeune homme vient d’être révélé par Wargames et capte d’ailleurs un cachet conséquent. Surtout, il s’apprête à enchaîner avec La folle journée de Ferris Bueller : Ladyhawke peut donc se prévaloir d’un nouvel acteur au top de sa popularité.

Kurt Russell, lui, attend carrément les répétitions pour se désengager de Navarre. Rutger Hauer ne laisse pas filer l’occasion : il saute sur ce rôle qu’il lorgnait depuis le début. Après un tournage dans la splendide campagne italienne, Ladyhawke semble prêt à fondre en piqué sur le public.

Snake gazeux

La pire BO du monde, vraiment ?

À sa sortie, l’accueil critique est mitigé, mais nullement indigne. Ladyhawke recevra d’ailleurs quelques récompenses, notamment aux Saturn Awards, avant de glaner quatre nominations aux Oscars (dont les effets spéciaux et le montage). Cela ne suffira pas à le sauver du flop en salle, avec à peine 18,4 millions de dollars amassés aux États-Unis.

Certes, le film a peut-être déconcerté par sa modestie et son récit épuré. Mais un de ses aspects va engendrer de singulières crispations : sa bande originale. Composée par Andrew Powell et le groupe de rock d’Alan parsons, elle ose un anachronisme baroque avec des morceaux mélangeant allègrement le synthé et les chants grégoriens.

Warg games

Ce qui lui est reproché n’est même pas d’ancrer définitivement le film dans les années 80, c’est de dénoter avec l’univers. À la vue du générique d’ouverture, il est difficile de déterminer si l’on se trouve devant un clip musical kitsch des années 80 ou à l’aube d’un récit de dark fantasy.

La responsabilité de ce choix revient principalement à Richard Donner. Alors qu’il menait les repérages en extérieur pour son film, il écoutait du Alan Parsons et considéré que son rock soulignait merveilleusement la magnificence des panoramas italiens. Si le cinéaste a toujours assumé sa décision, la proposition reste clivante.

Pas de France, mais de Navarre

Pour ne rien arranger, Warner Bros. tente de vendre le film comme « inspiré d’une véritable légende médiévale », présumée issue de la France du XIIIe siècle. De quoi lui conférer un petit cachet d’authenticité à peu de frais… et priver Edward Khmara de ses droits d’auteur ! Sauf que cette légende n’existe pas…

Le scénariste ripostera, assurant avoir eu l’idée au cours d’un jogging à Hollywood. D’ailleurs, s’il s’est logiquement inspiré de nombre de récits (dont l’histoire bien réelle de François Villon), aucune légende ne recouvre vraiment le postulat de Ladyhawke. Khmara intentera donc une action en justice avec le soutien de la Writers Guild of America, et obtiendra réparation du distributeur.

Coincé au milieu de tant de triomphes tonitruants, Ladyhawke aurait pu être renié par son créateur comme le vilain petit faucon. Que nenni : Richard Donner le décrira volontiers comme un projet personnel qu’il porte dans son cœur, indépendamment de son échec commercial. Hélas, sa seconde incursion sur les terres médiévales avec Prisonniers du temps en 2003 ne sera pas davantage couronnée de succès…

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batmalien

Aimant la medieval fantasy, je savais que ce film avait plutôt bonne réputation mais il avait l’air d’avoir mal vieilli donc j’ai laissé tomber l’idée. Cet article et les commentaires en dessous m’ont convaincu de dormir moins bête donc j’ai lancé le film hier soir.
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Conclusion : il a mal vieilli. L’histoire de base est géniale, le casting bon dans l’ensemble, la mise en scène correcte (les plans extérieurs de paysages naturels et châteaux sont tous sublimes). Mais ensuite les défauts s’accumulent : les musiques hors sujet sont bien nazes et cassent l’ambiance, les effets spéciaux ridicules, le film manque de rythme il y a trop de longueur alors que les persos sont peu développés (surtout les amoureux !) bref dommage, le film devait être sympa à regarder avec des yeux d’enfant dans les années 80/90. Ladyhawke mériterait un super remake !
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PS : tous les posters du film sont nuls, mais j’ai trouvé ce fan art sympa qui lui fait plus honneur :
comment image (https://mir-s3-cdn-cf.behance.net/project_modules/hd/f7d72c14612003.56286ab24b1ba.jpeg)

vidal44

Peut etre un bide, mais vu que l’intrigue du livre Ready Player One tourne beaucoup autour de ce film, on peut pas nier son influence

Dario De Palma

Le meilleur Donner avec « La malédiction » et « Superman ». Une très jolie histoire portée par un casting ultra charismatique et les images superbes de Storaro. Echec injuste en effet, et tant pis pour la musique incongrue!  

des-feves-aux-beurres-et-un-excellent-chianti

Ah Michelle ,
.
Visage en gros plan , le fond d écran de mon pote du boulot depuis 15ans

zakmack

La musique, ça préfigurait un peu chevalier, l’autre film médiéval à la musique décalée !
À l’époque ça m’avait fait un peu bizarre, mais je m’y suis habitué. Les acteurs sont bien en place, et l’histoire fonctionne.

Eomerkor

Bide injuste oui. Comme d’autres bides dans les années 80. Et film que j’aime beaucoup. On peut reprocher plein de chose (c’est vrai que même à l’époque j’avais trouvé la musique un peu décallée) mais c’est une très belle histoire, très bien racontée, très bien mise en scène et avec des acteurs de grands talents (Parfait Rutger Hauer et excellent John Wood – qui recroise Mattew Broderick après Wargame).

mcinephilly

Je fais partie des personnes qui aiment ce film, effectivement assez mal aimé ou peu (re)connu dans la filmographie de Richard Donner, c’est dommage !

zetagundam

J’aime beaucoup le film mais celui-ci est malheureusement plombé par une la B.O. anachronique et insupportable

Flash

Beau film très romantique, Hauer, Pfeiffer et la musique d’ Andy Powell, un film à l’ancienne, comme on en voit plus de jours. 4 étoiles

mikelion1

J(avais vu ce film 1 ou 2 ans après sa sortie lors d’une retransmission scolaire.. Je n’en avais pas entendu parler et j’avais vraiment apprécié. Rughter Hauer joue vraiment très bien. La réalisation est bonne est la bande sonore excellente.
Je l’ai revu il y a quelques mois, les effets spéciaux ont mal vieilli mais l’histoire est toujours là, cela reste un bon film.