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Jude Law contre des robots géants : le désastre injuste de Capitaine Sky et le monde de demain

Par Geoffrey Crété
21 septembre 2024
MAJ : 23 octobre 2024

Le film qui a fait tourner les têtes de George Lucas et James Cameron mérite tout, sauf l’oubli.

Le mal-aimé : Capitaine Sky et le monde de demain, pure folie et total désastre © Canva Paramount

Capitaine Sky et le monde de demain, c’est un film d’aventure et de science-fiction fou, avec Jude Law, Gwyneth Paltrow et Angelina Jolie. Il a tout d’une anomalie dans le système, et c’est ça qui le rend si spécial.

Si presque tout le monde a oublié Captain Sky et le monde de demain, réalisé par Kerry Conran, c’est parce qu’il a été un échec à sa sortie en 2004. Depuis, il a plus ou moins été oublié. Mais il mérite qu’on en reparle.

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C’EST QUOI CAPITAINE SKY ?

On est en 1939, dans une uchronie où la technologie est différente. Alors qu’une armée de robots géants commence à apparaître un peu partout dans le monde, la journaliste Polly Perkins (Gwyneth Paltrow) enquête sur les mystérieuses disparitions de scientifiques avec l’aide de Joe alias Captaine Sky (Jude Law), un pilote et ancien amoureux.

Pour comprendre qui se cache derrière ce chaos, ils vont enquêter sur le mystérieux Totenkopf et son île secrète…

SPOILERS : Voyant le monde courir à sa perte, Totenkopf a créé une gigantesque Arche de Noé sous forme de fusée, afin de détruire la Terre et y bâtir le Monde de demain. Sauf que Totenkopf est mort depuis longtemps, et son armée de robots a continué la mission sans lui. Mais Polly et Joe sauvent le monde. Fin.

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Tomorrowland

LE PROJET FOU DE CAPITAINE SKY

Diplômé de CalArts (California Institute of the Arts), prestigieuse école privée américaine en partie fondée par Walt Disney, Kerry Conran avait envie de faire des films comme ses modèles Steven Spielberg et George Lucas, en s’inspirant de tous les comics qu’il avait lus. Mais comme il n’était personne et ne connaissait personne, il s’est lancé de son côté, avec ses petits moyens et son frère Kevin. L’arrivée d’After Effects lui a offert les outils pour expérimenter.

Il expliquait à Variety en septembre 2024 :

« J’ai commencé à créer des plans et à les coller ensemble. Et ça a fini par devenir ce petit court-métrage, qui a tout lancé. Mais après quatre années à travailler dessus, j’avais six minutes, et je me disais que j’avais besoin d’aide. C’est là que j’ai tout pris et que je l’ai montré à Jon Avnet… et ça a démarré ainsi. »

Capitaine Sky et le monde de demain
Pacific Rim

Jon Avnet n’est pas n’importe qui. Son CV de producteur comptait déjà quelques petits films comme Risky Business, Tango et Cash, et Les Trois Mousquetaires. Il avait également réalisé plusieurs longs-métrages, dont Beignets de tomates vertes.

« Quand je suis allé voir Jon au départ, j’ai demandé s’il pouvait trouver peut-être trois millions de dollars. Et Jon a dit, ‘Je pense qu’on peut faire un peu mieux que ça’. Malheureusement ou heureusement, il l’a fait. Avec plus d’argent, on est immédiatement passé du noir et blanc à la couleur. On a dû incorporer des éléments 3D que je n’avais jamais eu l’intention de faire. Donc on a dû développer des techniques pour travailler plus vite. Tout ça a eu un impact sur l’écriture parce que je devais adapter et modifier par rapport à tout ce qui changeait. »

Jon Avnet embarque alors le producteur Aurelio De Laurentiis dans l’aventure. Avant le tournage, tout le film existait déjà en prévisualisation. Ne restait plus qu’à… le faire, vraiment.

Capitaine Sky et le monde de demain
Il y a Giovanni Ribisi aussi

MERCI JUDE LAW

Le casting est évidemment primordial pour trouver le budget, et c’est Jude Law qui a été le premier à signer. Il a embarqué avec lui Gwyneth Paltow, avec qui il avait tourné Le Talentueux Mr. Ripley quelques années avant. Angelina Jolie, elle, n’a eu que trois jours de tournage.

Kerry Conran racontait, toujours à Variety :

« C’est évidemment le court-métrage qui a motivé tout le monde. Jon Avnet a rencontré Jude et le lui a montré, et il a accepté aussitôt. On n’avait pas de scénario à ce stade. Et ensuite Jude a été voir Gwyneth, et elle a immédiatement accepté. Probablement en grande partie parce que Jude était enthousiaste. Ils ont tous les deux été partants pour se lancer dans quelque chose qui était plein d’embûches, et ils ont pris un énorme risque. Je ne peux même pas expliquer à quel point je leur en suis reconnaissant. Si le film a pu être fait, c’est grâce à eux. »

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Tintin et l’arche perdue

Le tournage a duré 26 jours, une durée relativement courte pour un film qui sera vendu comme une superproduction. Tout a été tourné sur fonds bleus, dans des studios en Angleterre, à l’exception d’une scène dans un décor réel rajoutée plus tard (Polly dans un bureau, qui discute avec un collègue).

Kerry Coran raconte toutefois que le début du tournage n’a pas été simple pour l’équipe image, démunie face au… vide. Le réalisateur a alors demandé une rapide pré-visualisation à partir des images tournées le premier jour, pour les montrer à l’équipe le lendemain.

« Je pense que ça a été une sorte de révélation pour tout le monde. Et ça a changé la dynamique. Tout le monde avait confiance, et se disait qu’on allait peut-être faire quelque chose d’innovant et intéressant. »

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Lara Croft édition pirate de l’air

L’ATTENTION DE GEORGE LUCAS

Une fois le tournage terminé, l’aventure était loin d’être finie : il fallait faire le film, et ça passait par un énorme travail de post-production. Et donc, beaucoup d’argent. Il fallait trouver un studio pour financer cette étape, et assurer la sortie de Capitaine Sky au cinéma.

Kerry Conran et Jon Avnet ont assemblé 10 minutes du film et fait le tour de tous les studios. C’est la Paramount qui a mis la main dessus.

Le cinéaste garde un souvenir relativement paisible de toute cette période, comme il le disait à The Telegraph en 2015 :

« En gros, on nous a laissés tranquilles en tant que film indépendant, pendant 18 mois. Et même quand Paramount est arrivé comme distributeur, ils nous ont rarement embêtés, hormis en avançant la date de sortie. »

Car la Paramount a décidé de sortir Capitaine Sky et le monde de demain six mois plus tôt. Une décision qui a provoqué un vent de panique dans l’équipe, jusqu’à ce que le travail soit réparti entre une dizaine de boîtes de post-production à travers le monde, pour avancer plus vite.

Capitaine Sky et le monde de demain jude law gwyneth paltrow
« En fait on sort le film demain »

A l’époque, le pari technologique de Kerry Conran était extraordinaire. Normal donc que le film ait attiré l’attention de toute l’industrie, et notamment George Lucas. Kevin Coran, frère du réalisateur qui a travaillé sur les décors et les costumes de Capitaine Sky et le monde de demain, racontait à The Telegraph en 2015 :

« George Lucas nous a personnellement invités, nous a amenés en avion, nous a logés durant un long week-end, avec ces fantastiques personnalités qui étaient sincèrement intéressées par ce qu’on avait à dire. C’était incroyable. Je me souviens que le premier matin, on est descendus pour le petit déjeuner. Il y avait cette grande table avec George, et James Cameron, Robert Zemeckis, Caleb Deschanel, Robert Rodriguez… »

A un autre événement où le film a été primé, c’est J.J. Abrams qui est allé voir les frères pour partager son enthousiasme. C’était donc, en théorie, le début d’un conte de fées. Sauf que la réalité a été un peu moins belle.

Capitaine Sky et le monde de demain
Irma Vep

LE (FAUX) FLOP DE CAPITAINE SKY

Capitaine Sky et le monde de demain est sorti en septembre 2004 aux États-Unis (et en mars 2005 en France). C’était une année chargée en blockbusters, avec Spider-Man 2, Le Jour d’après, Harry Potter 3, Les Indestructibles, I, Robot, Troie, Val Helsing, Benjamin Gates, ou encore La Mort dans la peau.

Il a démarré premier au box-office domestique, avec environ 15 millions. Au final, le film a encaissé près de 58 millions au box-office mondial. Est-ce que c’était assez ? C’est là qu’il y a deux versions de l’histoire.

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Quand tu regardes le vrai budget

L’officielle : Capitaine Sky et le monde de demain a été un énorme flop au cinéma parce qu’il a coûté 70 millions. Pourtant, Kerry Conran contredit cette version, et affirme que le film a coûté trois fois moins cher, minimum. Ce qui voudrait dire qu’il n’a absolument pas été un bide.

En 2015, il disait à The Telegraph :

« J’ai un gros problème avec ce budget personnellement, et j’aimerais que quelqu’un me montre où est parti tout cet argent. Je ne valide pas ces chiffres et je ne l’ai jamais fait. On est allé dans le bureau de Jon Avnet le premier jour, et il a dit, ‘Que voulez-vous pour cette production ?’, et on a répondu 3 millions. On aurait pu faire une version de ce film à 3 millions. Ça aurait été en noir et blanc, et sans des acteurs de renom. Mais quand même bien, tout ça allait rester sous la barre des 20 millions. Comment c’est passé de 20 à 70, grande question ».

En 2024, il restait sur sa position, chez Variety :

« Il y a beaucoup d’idées fausses sur le coût du film. Quand on a commencé à le faire, le budget est passé de 3 à 10 millions, dans ces eaux-là. Le film a au final coûté quelque chose comme 12 millions. »

Capitaine Sky et le monde de demain
Transformers : La face cachée de la thune

Le réalisateur expliquait notamment que lorsque Paramount a voulu avancer la sortie, pour prendre la place de Mission : Impossible 3 qui n’était pas prêt à temps, le budget a été rallongé. Il fallait plus de moyens pour avancer plus vite :

« Il y avait beaucoup en jeu pour notre financier Aurelio de Laurentiis, qui a vendu le film. Et c’est là qu’il y a des désaccords sur le budget, je pense : il s’est fait beaucoup d’argent sur la vente du film, et ça ne s’est pas appliqué au film lui-même. Mais même pour un film à 12 millions, je pense que ça aurait été perçu comme un vrai succès. Mais pas avec je ne sais quel budget, dont il a été question à la fin. Paramount a payé beaucoup d’argent, mais comme on dit, ce n’était pas mon affaire ça. »

Dans tous les cas, il considère que le film n’a pas été un véritable échec, ou en tout cas pas directement :

« Je sais ce que Paramount a payé quand on avait 10 minutes d’images qu’on a fini par montrer à tous les studios. Aurelio prétendait que le film avait coûté plus cher que la réalité, et ça en avait l’air. Donc les sommes qui étaient proposées pour l’acheter étaient élevées – assez pour que j’entende que Aurelio s’était payé une équipe de foot avec cet argent. Du coup, quelqu’un a probablement perdu beaucoup d’argent, mais ce n’était pas à cause de ce film. C’est de là que vient la déception… ma naïveté. Aurelio a certainement pris un risque, et il a gagné de l’argent dessus, tant mieux pour lui. C’était un peu à mes dépens je pense, mais c’est le business. Mais ça a rendu les choses plus difficiles pour ce qui est de l’argent que le film devait rapporter après. »

Capitaine Sky et le monde de demain angelina jolie
Jolie magouille sur le budget

POURQUOI CAPITAINE SKY MÉRITAIT MIEUX

Capitaine Sky et le monde de demain a les défauts et les qualités d’un film hors-normes, tiraillé entre la débrouille naïve d’un réalisateur débutant et ses ambitions exceptionnelles.

D’un côté, c’est un exercice de style où tout est sacrifié sur l’autel du spectacle, au nom de l’hommage aux vieilles séries B et récits d’aventure. Les références pleuvent (King Kong, Le Magicien d’Oz, Superman…), les personnages sont des stéréotypes sur pattes, les dialogues sont sommaires, et l’intrigue cousue de fil blanc.

capitaine sky et le monde de demain
It’s a bird ! It’s a plane !

De l’autre, c’est un défilé d’images sensationnelles, aux couleurs et textures inattendues. De la musique pompeuse d’Edward Shearmur aux échelles démentielles des décors, tout concourt à provoquer l’émerveillement enfantin. Personne n’a visé le réalisme, et Capitaine Sky baigne dans une ambiance et un halo blanchâtre qui parvient à remplir l’objectif : donner l’impression d’avoir sous les yeux un objet hors du temps, à la fois dépassé et moderne (Star Wars : Episode II – L’Attaque des clones est sorti deux ans plus tôt, pour situer).

A ce titre, la « résurrection » de Laurence Olivier a quelque chose de prémonitoire. Le visage de l’acteur mort en 1989 a été recréé grâce à des images d’archives retouchées, pour donner vie au fameux docteur Totenkopf de l’intrigue. Deux avant Superman Returns qui a ramené Marlon Brandon, et des années avant les « résurrections » et rajeunissements à Hollywood, Capitaine Sky annonçait effectivement le monde de demain.

Capitaine Sky et le monde de demain
Le magicien ose

LE FILM QUI A QUASI TUÉ UNE CARRIÈRE

Kerry Coran reconnaissait lui-même les limites de son film chez Variety en 2024 :

« A l’époque j’ai pensé que c’était loin d’être parfait, et c’est entièrement ma responsabilité. Je l’accepte. (…) Si je devais le refaire, je choisirais une approche comme celle de Lucas ou Spielberg, en tentant de créer quelque chose qui essaye moins d’imiter et plus de s’inspirer. Je pense qu’avec mon approche, on regarde quelque chose de visuel et c’est saisissant pour l’époque, mais peut-être que ça empêche de vraiment s’attacher aux personnages. »

Comme un Southland Tales (avec lequel il partage l’actrice Bai Ling et l’amour des zeppelins, en plus d’une place dans notre liste des films mal-aimés), Capitaine Sky ressemble finalement à une passionnante erreur du système. Une erreur qui a coûté cher à Kerry Conran, puisqu’il aurait dû enchaîner avec une adaptation de John Carter of Mars, le classique de la littérature d’Edgar Rice Burroughs. Sauf que le « flop » de Sky Captain a mis un coup d’arrêt à sa carrière.

capitaine sky et le monde de demain
I, Robot

Il développait le projet John Carter avec la productrice Sherry Lansing, alors à la tête de Paramount. Mais lorsqu’elle est partie, tout s’est écroulé. Kerry Conran n’était plus que le réalisateur de ce film perçu comme un fiasco au box-office, et qui n’avait pas été à la hauteur des espoirs placés en lui.

« J’avais travaillé quasiment un an sur John Carter, et on était très, très proche de la phase de casting et du tournage. Mais la personne qui a fini pas prendre la décision avait une relation très forte avec Jon Favreau à l’époque, et il cherchait quelque chose pour lui. Donc ça lui a plus ou moins été donné. Ensuite, j’ai brièvement travaillé sur quelque chose pour DreamWorks. Et environ deux ans après Captaine Sky, j’ai décidé que ce n’était pas pour moi. Je ne peux pas passer un an sur quelque chose, y mettre toute mon énergie, et m’en séparer. Donc je suis revenu en arrière, à faire mes propres trucs. Mais je pense vraiment que si Capitaine Sky avait fait 100 millions, on parlerait d’autre chose dans ma carrière actuellement ».

capitaine sky et le monde de demain
Capitaine Sky et pas de monde pour demain

Entre-temps, John Carter est devenu un blockbuster chez Disney (sans Jon Favreau), qui pour le coup mérite sa place parmi les plus gros bides récents au box-office.

Kerry Conran, lui, a signé un court-métrage intitulé Gumdrop en 2012 : l’histoire d’une jeune robot qui rêve d’être actrice, et partage ses souvenirs lors d’une audition. Et il ne désespère pas pour la suite de sa carrière :

« Je continue à travailler sur différentes choses, et je suis très optimiste, j’ai deux projets qui ont de vraies chances de se faire. Ça fait longtemps, très longtemps que j’attends, malheureusement. »

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cidjay

Perso, j’ai beaucoup aimé le film pour son côté Pulp années 50.
Mais le rendu baveux dégueulasse de toutes les lumières me rappellent que le Hobbit a été injustement critiqué pour ces effets spéciaux… Voyez Captain Sky ! c’est aussi bon que c’est moche !
Super article ! merci !

sebv2

Un film méconnu, visuellement abouti et sujet ä débat…en voilà un excellent candidat pour une projection lors d’une soirée Grand Écran Large.

Wizz

Un pur délice,comme j’ai aimé ce film,pour ceux qui ont une immagination fonctionelle.

Capitaine Sky Coke

Franchement, j’ai adoré ce film. Du pur style rétro futuriste, un parfum des serials d’antant. J’aurais aimé quelques suites dans le même style. Un divertissement et une esthétique hors norme.
Après je peux comprendre qu’on puisse ne pas aimer, Pour moi, ce fut un vrai régal
Dommage pour Conran qui aurait pu nous délivrer d’autres pépites dans le genre, au lieu de ça on a le droit aux transformers et aux Fast and furious nullissimes au douces senteurs de nanars !
Triste mais c’est ainsi !

LaTeub

La featurette sur la version de John Carter laisse espérer un film magnifique… Quel dommage…

Grift

Je sais pas pour le film (pas vu), mais article très intéressant à lire !
Merci Geoffrey Crété !

Copeau

Un des films les plus nuls que j’ai vu…et pourtant je suis pas difficile

dreamon86

Jamais vu et sans regrets…

The Aurelio

Adorateur de Black & Mortimer, je conchie les Inrocks (pour changer).

En tous cas, j’ai un bon souvenir du film, pas un grand film mais quelque chose qui a l’époque sortait un peu de l’ordinaire. Bref, pas mal d’accord avec Roger Ebert pour le coup…

Faudrait que je me le remette tiens!