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Marathon Man : le thriller parfait qui rend complotiste avec Dustin Hoffman en sueur

Par Boris Szames
21 septembre 2024
Dustin Hoffman en sueur : Marathon Man, le thriller parano qui rend complotiste © Canva/Paramount

Avec Marathon Man, Denis Hoffman s’incruste dans le thriller parano pur jus à la mode seventies et se paie une suée.

Pourquoi s’acharne-t-on à enfiler chaque semaine une paire de baskets défraîchie et un jogging molletonné, à gambader sur le bitume, qu’il vente ou qu’il pleuve ? « Durant les courses de fond, le seul adversaire que l’on doit vaincre, c’est soi, le soi qui traîne tout son passé », analyse Haruki Murakami dans son Autoportrait de l’auteur en coureur de fond. Dans Marathon Man, le roman (1974) et son adaptation (1976), tous deux écrits par l’émérite William Goldman , Thomas « Babe » Levy, jeune étudiant juif, réchappe à grandes enjambées aux griffes de Christian Szell, aka « L’Ange Blanc », indécrottable nazillon, venu récupérer sa collection de diamants à Manhattan.

À l’écran, le réalisateur John Schlesinger (Macadam Cowboy) orchestre ce face-à-face fiévreux entre deux acteurs « immiscibles ». L’un, Dustin Hoffman (Babe) appartient à la jeune génération de talents hollywoodiens inféodée à l’illustre Actors Studio de Lee Strasberg. L’autre, le so british Laurence Olivier, parangon du théâtre shakespearien, préfère s’en tenir strictement au texte de Goldman.

Le premier frise l’excès de zèle dans son implication morbide, allant jusqu’à perdre 10 kilos pour le rôle. Le second se contente de se raser le crâne. Le conflit ontologique donnera naissance à une saillie mordante d’Olivier, excédé, à Hoffmann  : « Et sinon, vous avez essayé de jouer tout simplement, c’est quand même plus simple ! ». Du jeu, il n’est question que de cela dans Marathon Man, thriller parano doublé d’un exercice de style aux confins du politique.

Laurence Olivier et Dustin Hoffman dans Marathon Man
Vous avez bien une amicale des anciens nazis ? Un club ? 

Le grand frisson

Réalisateur à la filmographie bigarrée, John Schlesinger a écumé les genres cinématographiques entre les États-Unis et l’Angleterre, signant tour à tour comédie (Billy le Menteur), mélo (Un amour pas comme les autres), chronique sociale (Sunday Bloody Sunday), etc. Marathon Man est à certains égard une œuvre de la rédemption. Car Schlesinger a précédemment accouché d’une satire terrifiante de l’industrie hollywoodienne, Le Jour du fléau, cuisant échec au box-office américain. Impossible, donc, de refuser ensuite le scénario de Goldman apporté sur plateau en or par le plus influent producteur de Los Angeles, Robert Evans.

« Il y avait toutes sortes de choses qui m’attiraient dans l’histoire », explique le cinéaste au journaliste Ian Buruma dans un livre d’entretiens paru en 2007. « Je l’ai toujours appelé mon thriller juif parce que cet aspect était assez important […] Il y avait beaucoup de choses que j’aimais dans Marathon Man, à part le fait que je voulais vraiment travailler avec Robert Evans, le producteur, qui avait dit des choses auxquelles je ne m’attendais après avoir vu [mon précédent film]. »

Après la parenthèse angeline, Schlesinger regagne la ville de New York, qu’il a déjà arpentée dans Macadam Cowboy. S’y ajoutent des escales au Paraguay, refuge de Szell, et à Paris, où le frère de Babe, « Doc » Levy, agent à la solde d’une mystérieuse organisation, refourgue les diamants de l’Ange blanc. Les arrière-plans texturés de Marathon Man donnent à voir des cités en crise, jonchées d’ordures, paralysées par des mouvements protestataires. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une scène de carambolage de voitures dans la chaleur des derniers jours de l’été à Manhattan.

Dustin Hoffman dans Marathon Man
On laisse pas Babe dans un coin !

Le réalisateur la filme, les nerfs à vif, dans le style du William Friedkin de French Connection. Le montage alterné, entrecoupé d’images subliminales d’Abebe Bikila (marathonien né dans l’Éthiopie colonisée par Mussolini) augmente la pulsation cardiaque. Tempes ruisselantes de sueur, Dustin Hoffman s’entraîne au marathon le long du Réservoir de Central Park. L’entrelacement de sa respiration saccadée et des sonorités électroniques de la BO de Michael Small participent de cette tension latente. Mais John Schlesinger, ex-magicien amateur, ménage (encore) ses effets…

Espions, faux-semblants, complots… Marathon Man, thriller à la Hitchcock ? « Je ne peux pas dire que je l’ai imité, même si on m’en accuse. On ne peut s’empêcher d’être influencé par son mélange d’humour et de suspense », admettra son réalisateur dans les colonnes de Venice Magazine, en 2000. Une séquence à l’Opéra (Garnier), passage obligé pour quiconque souhaite émuler le Maître, témoigne de cette irrépressible tentation hitchcockienne distillée au compte-gouttes tout au long du film.

Armé d’un Steadicam (dont c’est ici l’une des premières utilisations), Schlesinger s’amuse à semer le spectateur à travers un labyrinthe cauchemardesque en nuances de gris traversé de visions d’horreur pure (éprouvante scène de torture à la fraise dentaire) et de poussées de violence foudroyantes jusqu’à un final à la lisière du revenge movie (qu’on ne divulgâchera bien évidemment pas). S’il prolonge la tradition du thriller parano pur jus, Marathon Man brosse par l’ellipse le portrait d’une Amérique sur laquelle soufflent encore les braises du fascisme.

Marathon Man
Une bouchée pour papa…

À bout de course

Après quoi court notre « marathon man » dans sa « croisade hystérique » ? La réhabilitation d’un père, le sien, H.V. Levy, illustre historien, victime expiatoire sacrifiée sur l’autel du maccarthysme dans l’Amérique parano des années 50. Mais aussi la repentance d’une nation, les États-Unis, qui, drapée dans les oripeaux du déni, cultive un « fascisme soft » à l’ombre de sa bannière étoilée. « Coolidge brisant la grève de la police de Boston. Roosevelt mettant les Nippo-Américains dans des camps », énumère Babe à son professeur, pressentant alors, comme beaucoup d’Américains, que des agences gouvernementales protègent encore des criminels de guerre.

Des documents déclassifiés en 2014 confirmeront leurs soupçons. Selon l’une de ces notes internes, consultée par le New York Times, la CIA aurait employé près de 1000 anciens affidés du IIIe Reich après la Seconde Guerre Mondiale sous l’impulsion de son patron Allen Dulles, convaincu que « les nazis modérés » pouvaient être utiles aux États-Unis. « Jusqu’aux années 1990, ces agences ont cherché à cacher les liens du gouvernement avec certains d’entre eux qui vivaient toujours aux Etats-Unis », précise l’article. Comment donc accorder encore sa confiance aux institutions américaines en ce milieu des seventies ? Triste monde tragique…

« En un temps où les organisations néonazies montrent plus d’arrogance que jamais, il est regrettable qu’un film présente avec une désinvolture de roman-feuilleton les criminels de guerre réfugiés sur le continent américain et leurs activités. John Schlesinger a fait un film terriblement démobilisateur », s’échauffe Charlie hebdo dans sa critique du film. On ne peut donner totalement tort à l’auteur de ces lignes. Schlesinger joue sur la corde raide dans un monde en déliquescence. Seulement, ce serait prendre Marathon Man pour ce qu’il n’est pas : un brûlot politique à la Alan J. Pakula (À cause d’un assassinat, Les Hommes du président).

Laurence Olivier dans Marathon Man
Vous voulez pas un whisky d’abord ?

Osons plutôt lui trouver une parenté certaine avec un thriller de la même farine sorti 30 ans auparavant, Le Criminel, de et avec Orson Welles, dans lequel un enquêteur de la Commission des crimes de guerre des Nations unies remonte la trace d’un nazi planqué dans une bourgade du Connecticut.

En 1978, Franklin J. Schaffner (La Planète des Singes) repoussera les limites de la parano ambiante dans Ces garçons venus du Brésil, adaptation d’un roman d’Ira Levin (auteur de Rosemary Baby) qui voit l’effroyable docteur Mengele, médecin nazi surnommé l’Ange de la Mort à Auschwitz, produire des clones du Führer en vue d’établir un IVe Reich. Cerise sur le gâteau : Laurence « Szell » Olivier y interprète… Un chasseur de nazis !

Marathon Man occupe une place singulière dans le genre qu’il pastiche, jouant sur la corde raide entre le film d’espionnage à la sauce Hitchcock et le thriller politique aux relents amers. Une recette audacieuse à laquelle le showrunner David Weil empruntera les ingrédients sur une petite musique tarantinesque dans Hunters, série Prime Vidéo à la réussite plus que discutable…

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robindesbois

Chef d’oeuvre. A noter que 2 ans plus tard, Laurence Olivier jouera cette fois-ci un chasseur de nazi (inspiré par Simon Wiesenthal) dans l’excellent « Ces garçons qui venaient du Brésil ».

Les polars parano américains des années 70 traitant de complots sont excellents. Marathon Man est peut être le meilleur film dans ce registre. J’ai aussi adoré A cause d’un assassinat, les 3 jours du Condor et Ces garçons qui venaient du Brésil. Si vous en avez d’autres à me suggérer je suis preneur.

Flash

Eomerkor, a tout bien résumé, rien à ajouter.

Eomerkor

Le film c’est un authentique chef d’oeuvre. Du jeu de dupes aux scènes de tortures, l’intrigue monte cresdendo pour aboutir au final. Dans une scène mémorable Szell, opportuniste sur de lui et trop impatient de connaitre la valeur de son butin, sera reconnu par ses victimes passées et devra fuir pour se retrouver finalement face à Babe. La judéité de Babe n’est que suggérée et son frère aura été lui même un barbouze pragmatique. Babe a tout perdu et est confronté à son tortionnaire. Il n’est pas question d’une traque au nazi. Juste d’un désir de vengeance dans toute sa simplicité. Vient alors la réplique de Szell qui donne tout son sens à l’oeuvre. « Mais vous êtes un malade ». Ni culpabilité ni remord pour ses crimes passés et recents face à celui qu’il a torturé et qui le tient en joue. Szell se sent être le juste de l’histoire et seul importe ce qu’il s’imagine lui être du. C’est finalement un paumé qui aura raison de lui. Juste un type un peu naif qui s’entraîne à courir sans trop de réussite et qui sera confronté aux résurgences du passé.
Magnifique interprétation de Laurence Oliver et Dustin Hoffmann. Excellents Roy Scheider, William Devane et Marthe Keller. Sur un scénario bien ficelé de William Goldman et mise en scène magistrale de Schlesinger. Chef d’oeuvre à voir et à revoir.