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Monstres : L’histoire de Lyle et Erik Menendez – Critique qui pourrit l’American Dream sur Netflix

Par JL Techer
24 septembre 2024
MAJ : 17 octobre 2024

Ryan Murphy et Ian Brennan poursuivent leur exploration du True Crime. Après American Crime Story et un Monstre saison 1 dédié à Jeffrey Dahmer, les showrunners ont choisi de se confronter au cas des frères parricides Menendez, incarnés par Cooper Koch et Nicholas Chavez. Pour l’occasion, la saga Monstre gagne un pluriel avec Monstres : L’histoire de Lyle et Erik Menendez sur Netflix. Le fait divers impliquant les Menendez avait fait énormément de bruit outre-Atlantique au début des années 90, avec celui-ci, Murphy et Brennan franchissent un cap supplémentaire dans l’horreur : après les serial killers (qui seront de retour en saison 3 avec Ed Gein, le Boucher de Plainfield), ils vont sur un territoire plus horrible encore, celui du parricide/matricide.

Monstres : L'histoire de Lyle et Erik Menendez - Critique qui pourrit l'American Dream sur Netflix © Canva Netflix

Monstres inspirés de faits réels

« Pourquoi Erik et Lyle Menendez ont-ils tué leurs parents ? » C’est la phrase choc dite par Leslie Abramson (impériale Ari Graynor) l’avocate des frères meurtriers dans l’épisode 7 de Monstres, alors que s’ouvre leur procès en 1993. La méthode et les victimes, tout le monde les connaît. À l’aide de deux fusils de chasse, les frères Menendez ont exécuté leur père, José (Javier Bardem) et leur mère Kitty (Chloë Sevigny). En tant que spectateur, nous savons tout, comme dans un épisode de Columbo. Les frères sont coupables, c’est une évidence.

Ils ont franchi un cap dans l’inimaginable. Dans les beaux quartiers de Beverly Hills, dans une maison auparavant louée par Prince et Elton John (puisqu’il faut citer des noms pour ajouter du vernis), les parents Menendez, membres émérites de la haute société, ont été massacrés par leurs propres enfants. Après un rapide jeu de cache-cache et de petits cailloux jetés aux forces de police, les héritiers Menendez sont arrêtés. Commence alors le véritable jeu de piste : trouver la raison pour que l’acte ignoble prenne sens.

Une famille parfaite

Dans Monstres, Ryan Murphy fait un pas de côté : il ne s’agit pas de raconter la traque d’un tueur, mais de comprendre comment sont fabriqués ces monstres. Le sujet de Dahmer était l’autopsie de l’esprit de l’assassin, il fallait décoder le cryptogramme de son esprit. Son parcours laissait présager d’un déraillement tôt ou tard. Pour les Menendez, c’est tout le contraire : ces deux beaux gosses, fils de riches, baignent dans la vie de luxe.

Leur trajectoire était toute tracée : Princeton, investissements, mariage à une star de la télé, divorce, célébrité. Ils sont l’incarnation de l’American Dream, né d’un père immigré né à Cuba, parvenu à devenir une huile de la côte ouest. D’American Dream à American Creep, il n’y a qu’un pas : le jour du meurtre, les apparences lâchent, et quand on commence à gratter, on découvre un enfer.

Ryan Murphy aime jouer avec le grand-guignol et les personnages tordus. Et la très intense et gore séquence du meurtre laisse penser qu’on va aller à fond dans le grotesque et le sanguinolent. Mais après avoir asséné son coup de poing dans le ventre au public, Monstres lève le pied. L’horreur la plus crue balancée en pleine face a fait craquer le vernis du glamour. Maintenant, il va être temps de fouiller dans cette blessure à pleines mains.

Une séquence qui justifie le 18+

Deux frères

Monstres utilise la relation malaisante entre les deux frères pour nous amener à faire les premiers pas dans cette horreur. Au-dessus d’Erik et Lyle plane l’ombre du Patrick Bateman d’American Psycho : ces deux jeunes hommes beaux sont obsédés par le culte du corps, leurs torses nus sont filmés comme s’il s’agissait de statues grecques dans un training montage fou. La filiation avec Bateman se fait aussi par le fait qu’ils se pensent au-dessus de toute loi. L’horreur dans laquelle ils baignent est celle d’un mensonge permanent et absolu.

Erik et Lyle, l’ainé aux nerfs à fleur de peau, et le cadet pétri d’angoisses, ont opté pour une voie judiciaire a priori intenable : celle de la légitime défense. Une fois incarcérés, ils expliquent avoir été martyrisés et torturés moralement, physiquement, et sexuellement par leurs parents pendant des années. C’est là tout le problème du cas Menendez : selon eux, la monstruosité de leur acte aurait été justifiée. Pour soutenir les dires des frères, Murphy et Brennan ont opté pour une narration éclatée, à l’image de ce qui avait été fait pour Dahmer. Les showrunners baladent le public entre le passé narré par les frères, le présent de leur incarcération, et ce qui est peut-être la vérité.

Une relation ambiguë

La série opte pour la philosophie du doute. Le choix a été fait de ne pas remettre en cause la parole des frères. C’est par l’alternance de séquence très crues, toujours amenées par la parole d’Erik et Lyle, que l’on plonge en enfer. José, leur père, aurait abusé d’eux depuis leur plus jeune âge. Leur mère, Kitty, n’aurait été qu’un fantôme désincarné noyant le chagrin de son existence dans l’alcool. Tout cela se dessine peu à peu, jusqu’à un climax déchirant : celui de l’épisode 5, intitulé « The Hurt Man » (L’homme brisé).

Très sobrement réalisé par Michael Uppendahl, cet épisode transforme l’audition d’Erik par son avocate en un huis clos suffocant. Dans un long plan séquence de presque une heure, avec un plan qui se resserre très lentement sur son visage, Erik décrit toutes les atrocités qu’il a subies. Père pervers pédophile, mère méprisante et insultante, violences quotidiennes, humiliations… À quoi s’ajoute une relation entre frères à la limite de l’inceste (limite franchie ou non, nous n’en saurons jamais rien).

Outre l’incroyable performance de Cooper Koch (il mérite un prix pour cette prestation), cet épisode est une véritable claque assénée sans ménagement, où l’horreur se déroule par la parole et se visse dans notre esprit comme une immonde réalité, inacceptable, mais capable de tout justifier. Murphy et Brennan ont alors réalisé leur plus beau tour de passe-passe : les monstres sont les victimes, et on ne peut éprouver qu’empathie et sympathie pour eux. Mais malgré les émotions reste la question : où est la vérité ?

Cooper Koch, bouleversant

La série dont vous êtes le héros (à contrecœur)

Une question à laquelle Murphy et Brennan prennent un malin plaisir à choisir de ne pas répondre. Après cet épisode 5 à effet d’électrochoc, la série change de braquet. Nous avons subi la réalité de la parole d’Erik. Désormais, les showrunners vont de manière reptilienne semer le doute : et si tout cela était vrai ? Et si tout cela était faux ? Et si les frères meurtriers n’en voulaient en fait qu’au pactole de leurs parents ? Si tout cela est vrai, est-ce suffisant pour justifier un double meurtre prémédité ?

Pouvons-nous, en tant qu’être humain, cautionner le meurtre comme échappatoire ? Et si les frères n’ont fait que mentir : pourquoi ont-ils menti ? L’ont-ils vraiment fait pour l’argent, ou ont-ils fabriqué cette histoire parce que la façade de riche WASP à maintenir en permanence était elle trop lourde à porter ? Tantôt Erik apparaît comme la victime d’une société écrasante, dans l’impossibilité d’assumer son homosexualité, tantôt en génie manipulateur. Lyle est parfois un monstre déshumanisé, parfois le produit d’une éducation sans aucune forme d’amour. Les créateurs de la série sèment des indices dans un sens puis dans un autre, créant ainsi une nappe de brouillard autour de toute notion de réalité.

Beverly Hills Vice

Ryan Murphy et Ian Brennan nous mettent dans une impasse psychologique, nous poussant sans cesse à l’empathie vers ces deux frères, pour mieux remettre en question nos certitudes. Ce petit jeu sadique a un but précis, celui de forcer le public à répondre à la seule vraie question : qui sont les monstres ? Est-ce cette mère qui qualifie ses enfants de parasites et qui dit face caméra qu’elle aurait préféré qu’ils ne naissent jamais ? Ou ce père sadique obsédé par la réussite et le vernis social ? Ou ces deux frères qui ont tué ces parents ?

Il serait trop facile de répondre que les monstres engendrent des monstres, et ce quelle que soit la catégorie sociale dans laquelle ils évoluent. Dans le dernier quart de la série, peu à peu, c’est une autre réponse qui se dessine : les monstres sont peut-être ceux qui, par voyeurisme et pulsions morbides, se délectent des histoires de true crime, savourant la souffrance et le malheur des autres, histoire de se conforter dans l’idée que sa propre petite vie est tout de même bien confortable. 

Un pater familias terrifiant

En jouant avec les limites du docudrama, en tordant parfois la réalité (les frères Menendez ont crié au scandale au sujet de leur soi-disant relation incestueuse, et au sujet de ces séquences où l’on voit José et Kitty comme un couple heureux et épanouï), et en nous poussant à nous demander où se situe la responsabilité du meurtre, la série nous abandonne avec un profond malaise.

Le duo Murphy/Brennan a réussi son coup : on finit par éprouver de la sympathie pour ces deux monstres, à notre corps défendant. Dès lors, on devient le reflet de ces groupies hurlant les noms de Kyle et Erik, brandissant des pancartes avec leurs noms entourées de petits cœurs à l’entrée du tribunal, et ce malgré la condamnation à perpétuité des frères Menendez. Ce faisant, nous devenons nous aussi des monstres.

Monstres : L’histoire de Lyle et Erik Menendez est disponible sur Netflix depuis le 19 septembre 2024

Rédacteurs :
Résumé

Monsters est sans doute la production la plus ambiguë de Ryan Murphy et Ian Brennan. Affichant un voyeurisme assumé, la série questionne autant la manière dont ces monstres américains ont été fabriqués, que la fascination du public pour le True Crime. Une réelle réussite plastique et philosophique.

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Seb1109

Je n’ai même pas fini, arrêté au milieu de l’avant dernier épisode. Il n’y avait clairement pas matière à autant d’épisode. Pourquoi en faire ce nombre, s’il n’y a rien à dire… Et aucun personnage attachant, ils sont tous parodique. Sans doute qu’ils ont voulu coller aux vrais personnes mais on dirait tous qu’ils jouent ou surjouent, à part peut être le comédien jouant Erik.

cidjay

Comme d’hab, quand il s’agit de faits réels, je préfère voir un documentaire.
de 1 : Parce-que ça ne dure pas des plombes pour raconter ce qu’il y a raconter.
de 2 :Parce-que la production, la réal, les acteurs, ne vont pas essayer de de modifier certaines choses, pour favoriser un rythme, un nombre d’épisodes, ou une durée minimum. (ou tout simplement d’inventer des choses invérifiables)

at-tlantis

Les acteurs livrent tous une performance impeccable, la photographie est soignée, et la réalisation reste efficace, bien que sans audace. Comme souvent avec Netflix, on se retrouve avec un ou deux épisodes de trop dans la saison. L’article a raison de souligner la dimension psychologique : on est tiraillé entre l’empathie pour certains personnages et une véritable aversion pour d’autres, notamment les parents, à un certain moment. Ils jouent habilement avec nos émotions.

Moins spectaculaire que Dahmer, cette série est néanmoins supérieure sur presque tous les points. Elle mérite à coup sûr d’être récompensée, notamment pour la performance des acteurs et ce monologue hallucinant. Je me demande si cette scène a vraiment été tournée d’une traite, tant elle est intense et prenante.

kelso

Pour moi c’est plutôt raté cette saison, toujours autant de temps morts, sur Dahmer c’étaient les 2 derniers épisodes qui n’avaient plus rien ou presque à raconté, ici dans le milieu il y a clairement 2 épisodes de trop, car au final cette histoire des frères Menendez n’à pas grand chose à raconter. Le ton est étrange aussi par moment on est à la limite de la comédie ou de la parodie. Sinon c’est plutôt fidèle à l’histoire, mais c’est plus intéressant de voir les documentaires sur l’affaire (il y en a un très bien fait dispo sur youtube) que cette série plutôt moyenne. Mais bon j’ai souvent eu du mal avec ce que fait Ryan Murphy je comprend pas trop son succès.

galetas

Le résultat a l’air terriblement identique à la précédente série LAW OR ORDER qui relatait déjà ce faits-divers.