Un savoir-faire indéniable
Contrairement à ses concurrents qui vomissent leur contenu à flux tendu, Apple TV+ parvient à cultiver une image plus prestigieuse en préservant un certain niveau de qualité. Bonne nouvelle : ce n’est pas Présumé innocent qui entachera la réputation de la plate-forme ! David E. Kelley, son créateur, et J.J. Abrams, coproducteur exécutif, ne sont pas des perdreaux de l’année et orchestrent un thriller politico-judiciaire parfaitement maîtrisé.
Techniquement, rien ne dépasse. La réalisation d’Anne Sewitsky (Black Mirror, Castle Rock) et Greg Yaitanes (House of the Dragon, Dr House) ne fait pas injure à l’élégance froide d’Alan J. Pakula (Les Hommes du président) : sobriété et efficacité sont de mise, sans génie ni faute de goût.
Jake Gyllenhaal prend la relève d’Harrison Ford dans un rôle franchement pas évident. S’il a déjà montré son aisance dans le genre du thriller (Prisoners de Denis Villeneuve), la nécessité d’entretenir le suspens sur son implication dans le meurtre nous interdit ici d’accéder à son intériorité. Inévitablement, son personnage apparaît plus distant, presque antipathique, d’autant qu’il a bien des choses à se reprocher.
Certes, l’acteur abuse un peu du combo « air de chien battu / prise de tête entre les mains », mais il en sort avec les honneurs. Ses camarades de jeu sont au diapason, de la victime interprétée par la Norvégienne Renate Reinsve (Julie en 12 chapitres) à Bill Camp.
En fait, tout semble si calibré que Présumé innocent manque d’aspérités réelles. Lorsqu’elle tente d’insuffler un brin de trouble, elle le fait d’une manière très mécanique. Les plans du corps supplicié ne choqueront pas grand monde, et la transgression de son intrigue extra-conjugale se révèle aussi émoustillante que le remake de Liaison Fatale : quelle dinguerie, ces fifous font le sexe à même la moquette ! Alors oui, c’est proprement articulé, mais un peu de soufre et de spontanéité n’aurait pas nui.
Une fidélité à double tranchant
Contrairement à son héros, le scénario fait preuve d’une grande fidélité envers le film de Pakula. Il en reprend les personnages et la structure globale, de la position du corps de la victime à son légiste d’origine asiatique. La double incertitude (Rusty est-il coupable ? Si ce n’est pas le cas, va-t-il s’en sortir ?) représente un combustible efficace, justifiant la nuée de plans prolongés sur des gens qui tirent la tronche comme si on venait d’éventrer leur lapin nain préféré.
David E. Kelley retrouve un univers qui lui sied depuis le fantaisiste Ally McBeal. La machinerie judiciaire est logiquement mise en valeur, notamment dans les derniers épisodes consacrés au procès (qui constituait déjà la substantifique moelle de l’original). Quant à savoir si la résolution respectera celle de son modèle, aucun risque de vous spoiler puisque la conclusion a été prudemment tenue à l’abri des journalistes – quand bien même le déroulé des événements nous confère une solide intuition à ce sujet.
Alors oui, comme dans le film, les ficelles sont parfois épaisses, avec des pièces à conviction décisives qui apparaissent à l’improviste. Reste que le scénario offre un aperçu intéressant des stratégies qui se déploient (presque indépendamment de la question de la culpabilité ou non de l’accusé) tout en esquissant une réflexion passionnante sur l’importance du storytelling.
Dommage que les coutures vieillottes n’aient pas bénéficié d’un franc rafraîchissement : le thriller judiciaire se mâtine d’une affaire de mœurs en auscultant un noyau familial proche de l’implosion. Hélas, les enjeux de cet adultère ont déjà été suffisamment poncés par ailleurs pour n’offrir qu’un intérêt limité en termes d’étude de caractère. Cela confère à son intrigue un petit côté vintage qui aura sans doute ses partisans.
Bien sûr, le scénario a été un peu actualisé, à commencer par l’écriture de la victime : cette carriériste compétente ne jouait pas que de son CV pour progresser dans les échelons et avait besoin d’un toilettage. Quelques sujets contemporains sont jetés en pâture, notamment le comportement problématique d’un ex devenu stalker par refus d’être largué, sans vraiment dépasser le stade de l’allusion opportuniste.
Une sauce un peu trop délayée
Pour justifier son format, Présumé innocent étoffe logiquement les personnages secondaires. En femme humiliée du héros, Ruth Negga y gagne un développement substantiel, bien que sans grande surprise. Le grand gagnant est peut-être l’antipathique Molto, incarné par Peter Sarsgaard, qui bénéficie de moments de gloire inattendus pendant le procès.
Si elle cède parfois à la facilité (ces si commodes séances chez le psy…), on ne peut pas vraiment accuser la série de tirer à la ligne : le meurtre est introduit d’emblée et les épisodes durent une quarantaine de minutes, sans vraie baisse de régime. Mais si aucun n’apparaît forcé, ces approfondissements ne renouvellent pas notre compréhension des personnages, à commencer par la victime qui subit les outrages post mortem de flashback aussi courts que convenus.
Le scénario démultiplie les pistes, de la vengeance d’un ancien condamné à la thèse intrafamiliale, tout en étoffant les rivalités internes et les implications politiques au sein du bureau du procureur. Reste que la série en fait sans doute trop pour accabler son personnage principal d’éléments compromettants, là où l’original faisait davantage appel à l’imagination du spectateur.
Les cliffhangers plus ou moins justifiés sont de rigueur. La fin du sixième épisode, pourtant solide par ailleurs, témoigne des limites d’un appétit de rebondissement qui nous éloigne un peu du cœur du récit. Pas de quoi gâcher le plaisir, mais suffisant pour questionner la plus-value réelle de ce remake.
Présumé innocent est disponible sur Apple TV+ à raison d’un épisode par semaine depuis le 12 juin
Je viens de mater le premier épisode. J’avoue, c’est assez accrocheur.
Surtout j’espère tellement que le personne de Gyllenhaal soit coupable tellement il est insupportable
@Pseudo 1 : j’en suis exactement là… Ai je du temps pour vérifier que mes souvenirs méritent d’avoir confiance en cette histoire ?
Je n’ai pas encore commencé à regarder. J’adore le film avec Harrison Ford alors au sommet de sa carrière. Présumé Innocent fait partie des films que j’aime regarder régulièrement comme Music Box par exemple de Costa-Gavras. J’espère que je ne serai pas décu.
Le problème dans ce genre de remakes, c’est qu’à moins d’un sacré changement narratif (votre critique laisse entendre que malgré une fin tenue secrète, il y a peu de chances d’avoir des surprises sur ce point), quiconque à vu l’original sera spoilé avant même de démarrer la série…
Dès lors, il ne reste plus que l’interprétation de l’acteur, mais est-ce suffisant pour justifier de se taper une saison entière, alors qu’il y a tant de films/séries à découvrir ?