Le Pingouin s’envole
Il suffit à The Penguin de son premier plan pour marquer sa filiation stylistique avec The Batman. Il s’agit, à vrai dire, de la dernière image du long-métrage de Matt Reeves sur le méchant incarné par Colin Farrell : un lent travelling au cœur de l’Iceberg Lounge, qui révèle le visage du personnage au lendemain des attentats du Riddler. Baigné par la lumière des premiers rayons du soleil, Oz regarde Gotham City comme ce territoire à conquérir après le vide laissé par son ancien boss, Carmine Falcone.
Ce passage de relais s’avère passionnant quand on repense au film qui lui sert de socle. The Batman, c’est avant tout une œuvre sur le regard. De son premier plan en hommage à Conversation secrète jusqu’à cette idée géniale des lentilles de contact du Chevalier noir qui enregistrent ce qu’il voit, la question du voyeurisme des justiciers est au cœur de la mise en scène, tout comme l’image que chacun renvoie aux autres.
Batman comprend qu’il est plus que cette “vengeance” divine censée effrayer les criminels, mais dans cet univers où tout le monde se fait justice soi-même, chaque personnage se pense dans son bon droit. En bref, les points de vue se valent et s’opposent, et c’est bien ce qui donne du cœur à cette mini-série. La showrunneuse Lauren LeFranc (Agents of SHIELD, Impulse) fait de cette version d’Oswald Cobblepot l’antithèse de Bruce Wayne : un gamin issu des quartiers populaires de la mégapole, et qui a vu toute sa vie les bons travailleurs, ceux qui jouent le jeu, être broyés par le système.
Si rien ni personne n’est là pour l’aider et lui permettre une forme d’élévation sociale, il va créer ses propres règles et prendre ce qu’il mérite. On a certes déjà vu ça ailleurs, mais The Penguin se démarque par la sincérité qui se dégage de ce rêve américain perverti. Là où Batman est persuadé de sauver la population en cassant des bras, Oz est convaincu d’aider la communauté en devenant baron du crime.
Ces deux faces d’une même pièce reflètent à quel point le Batverse de Matt Reeves connecte son univers super-héroïque à une actualité politique brûlante. Dans The Batman, le Riddler n’avait pas beaucoup de difficultés à rassembler des fanatiques à sa cause, quidams désespérés par des institutions incompétentes et corrompues. Face à un capitalisme de plus en plus incontrôlable, il n’y a plus que la révolution ou la criminalité, ce que The Penguin façonne au travers du personnage de Victor (Rhenzy Feliz), ado abandonné qu’Oz va prendre sous son aile à la manière d’une version négative de Robin.
Ce duo central, qui compose le cœur émotionnel de la mini-série, permet au fur et à mesure de capter les biais et les fêlures du protagoniste, que Colin Farrell s’amuse à révéler derrière ses prothèses et son accent italien. Son humanité, franchement désarmante, nous est toujours renvoyée au visage à chacun de ses actes monstrueux, signes de sa détermination sans faille.
Les ténors de Gotham
Mais la réussite de The Penguin, c’est d’utiliser le format sériel pour multiplier ces forces en présence, et mettre tous ses personnages sur un pied d’égalité, constamment sur le fil de l’attraction et de la répulsion. De ce côté-là, sa carte maîtresse n’est pas tant Oz que Sofia Falcone (géniale Cristin Milioti), fille de Carmine qui cherche à reprendre l’empire de son père. A la fois vulnérable et machiavélique, cette femme méprisée par tout un monde d’hommes ne cesse de jouer des coudes après des années de trahison par son entourage, qui l’ont amenée jusqu’à l’asile d’Arkham pour des affaires de meurtre.
Si Lauren LeFranc puise directement dans le génial comics Amère victoire de Jeph Loeb et Tim Sale (qui faisait de Sofia le fameux Tueur au pendu), sa démarche d’adaptation renferme le plus bel arc narratif de la série. Dans ce tourbillon des points de vue, la justice atteint bien souvent ses limites, et ne peut qu’amener chaque habitant de Gotham à atteindre un point de non-retour.
Par le prisme d’un épisode flash-back merveilleux, The Penguin opère une bascule essentielle. Cet art de la parenthèse lourde de sens, dont HBO s’est fait le spécialiste, confirme que ce dérivé de The Batman est loin d’être un sous-Soprano renforcé par une propriété intellectuelle identifiée.
Au-delà de son pilote qui débute sur un enjeu simple mais ravageur (Oz tue un mafieux important, et doit se débarrasser de son cadavre), chaque chapitre transpire d’un savoir-faire structurel et narratif indéniable, porté par la cruauté de plus en plus impardonnable de ses protagonistes.
« Why did you say that name ? »
Malgré le réalisme dans leur approche des comics, Matt Reeves et son équipe n’en oublient jamais l’aspect iconique et théâtral de leur galerie de personnages. Par ce temps long de la mini-série, The Penguin sort du simple récit de gangsters pour faire de ses méchants des figures bigger than life, en accord avec leur envie de s’affirmer dans un capitalisme toujours plus carnassier.
Dès lors, le scénario trouve un équilibre étonnant entre son pragmatisme et son inspiration du côté de la tragédie grecque. L’idée pouvait paraître casse-gueule sur le papier, surtout avec l’introduction de Frances (Deirdre O’Connell), la mère d’Oz à l’origine d’un sacré complexe d’Œdipe. Mais la série en fait un moteur déchirant, où la quête de validation de son anti-héros s’oppose à un sentiment d’abandon. Si personne ne croit plus à la société dans son ensemble, la cellule familiale demeure le seul cocon intouchable, dont la mise en péril annonce le nihilisme le plus total.
La noirceur de The Penguin prolonge à merveille celle de The Batman, et représente avant tout la cohérence extrême de l’univers de Matt Reeves. Son spin-off parvient même à reproduire ses élans de photographie inspirés, et cette esthétique qui isole les personnages dans le flou de longues focales oppressantes. Cette version de Gotham appartient à celles et ceux qui se cachent derrière leurs œillères, mais au vu de l’horreur de ce monde, peut-on vraiment les blâmer ?
Le premier épisode de The Penguin est disponible sur Max à partir du 20 septembre. Un nouvel épisode sera ensuite disponible chaque lundi à partir du 30 septembre.
Fichtre, ça a l’air intrigant alors que je n’avais pas du tout envie de voir cette série.
Après j’ai pas trop aimé the Batman, mais c’était surtout à cause de Pattinson et de Andy Serkis qui franchement devrait se limiter à la motion capture où il est excellent.
L’autre petit sujet de lassitude aussi, c’est de tout le temps partir des trois même comics (year one, long halloween et dark Victory) alors qu’il y a 80 ans de comics à explorer.
Bon j’avais hâte de voir ça étant un adepte des comics mais la critique me calme un peu. Je veux bien qu’on réadapte les personnages mais là nous refaire le coup des origines sociales en mode gilet jaune comme pour le joker (mais là pour le coup ça fonctionnait bien) c’est un peu gros. Oswald fait partie des aristocrates de Gotham et sa famille est aussi riche que celle des Wayne. Si il fait partie d’une minorité c’est celle des physiques ingrats et difformes rejetés par le milieu aristo dont il provient. Ce n’est pas un simple détail ses origines sont le socle du personnage. Il est là pour ça c’est le même milieu que les Wayne mais qui a mal tourné. De manière plus mineure quitte à reprendre Sofia Falcone selon Sale/Loeb autant lui en donner l’aspect physique. Une sortie de Brienne de Torth brune aux cheveux long en tailleur et talon aiguille.
1er épisode sympa mais pas ouf , le truc de gangstérs vu et revu
Spoiler,
Il me semble que cette actrice, c’est la mère de How I met your mother mdr
Voilà, c’est tout pour moi.
Blague à part, je n’ai pas non plus lu l’article, mais je vais probablement regarder parce que j’avais apprécié le film. Ce sera probablement tout autre chose que Gotham.
Je sais pas à quoi carbure Farell ou son agent depuis quelques années, mais elle semble aussi bonne que son choix de projets !
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J’ai lu que la conclusion pour éviter les spoilers, mais vous m’avez donné envie.
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PS: on a des news d’ailleurs de la saison 2 de Sugar ?