À LA RECHERCHE DU NOUVEAU RAJAMOULI
L’année indienne se déroule sous le signe du cinéma télougou. Quelques mois après le blockbuster mythologique Kalki 2898 AD, c’est un autre projet extrêmement ambitieux et coûteux qui nous vient de Tollywood avec Devara – Part 1. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les deux films partagent une stratégie commune, celle de réunir des stars venant des trois plus grosses industries cinématographiques indiennes pour un film à grand spectacle censé poser les bases d’une nouvelle franchise.
Concernant cette mission de présenter au public un nouvel univers original, Devara – Part 1 s’illustre d’ailleurs bien plus facilement que Kalki 2898 AD. Pour son long-métrage, le cinéaste Koratala Siva semble avoir soigneusement révisé la recette des gros succès pan-indiens de ces dernières années. Dans la droite lignée de Salaar, KGF ou Pushpa, ce premier opus prend le temps de nous présenter une multitude de personnages et d’intrigues, tout en jonglant avec deux époques différentes.
Le premier acte du récit parvient très efficacement à nous plonger au cœur de ce monde impitoyable. On explore les traditions des quatre tribus, on évoque l’histoire coloniale britannique et le cinéaste nous familiarise aux règles de son univers avec une facilité qui force le respect. Si Devara – Part 1 ne ressemble pas au tout venant des blockbusters indiens contemporains, c’est en grande partie grâce à l’originalité de son folklore.
S’il y a cependant un modèle dont l’ombre plane sur tout le long-métrage, c’est celui du cinéaste S. S. Rajamouli et plus particulièrement de son diptyque La légende de Baahubali. Koratala Siva tente de lui emprunter son écriture hyperbolique, sa tradition de personnages charismatiques qui flirtent constamment avec la mythologie. Tout comme Prabhas avant lui, NTR Jr incarne un père et un fils sur deux époques. La ressemblance est plus frappante que jamais lors du grand final qui abandonne le spectateur sur un cliffhanger redoutable servant à décupler l’attente autour du second opus.
SHARKNAWAK
Ce premier opus de Devara nous prouve à ses dépends que n’est pas Rajamouli qui veut. La spécialité de Koratala Siva a toujours été le cinéma d’action politique. Ses derniers longs-métrages s’intéressaient à la lutte contre la corruption gouvernementale ou encore aux rébellions naxalites. S’il sait très bien gérer les enjeux dramatiques et les conflits humains, le cinéaste est largement moins à l’aise avec le grand spectacle numérique qu’il est censé nous offrir.
Difficile de fermer les yeux sur la piètre qualité de certains effets spéciaux. En début de récit, une séquence d’attaque de cargo annonce la couleur. Les incrustations sont très inégales, les mouvements des acteurs peu crédibles. Mais tout cela n’est rien en comparaison avec le fameux requin numérique qui offre au film sa séquence la plus ridicule – bien que très divertissante si on l’aborde avec suffisamment de second degré.
On peut comprendre qu’un cinéaste peu habitué à des budgets si pharamineux ait du mal à maîtriser totalement les effets numériques. Ce qui surprend en revanche, c’est que Siva échoue dans le mélange de genres qui constitue habituellement un des points forts de son cinéma. Tout le premier acte qui se concentre uniquement sur l’histoire de Devara fonctionne très bien. Entre drame et action, on suit un héros charismatique au sein d’un univers hostile.
En revanche, le long-métrage commence à patiner en deuxième partie lorsqu’il nous présente son fils Vara. Ce deuxième héros est censé apporter plus de légèreté au récit. Et c’est bien là que la recette ne prend pas. Les séquences comiques ne fonctionnent jamais. La romance forcée ne parvient pas à être autre chose qu’une excuse artificielle pour ajouter un titre romantique somptueux mais en décalage total avec le reste du film. À trop vouloir toucher le public familial, le cinéaste nuit au rythme de son récit.
QUALITÉ INDIENNE
Malgré des limites évidentes, Devara – Part 1 s’avère être un divertissement honnête et efficace sous bien des aspects. Dès qu’il s’attaque à des séquences d’action qui reposent essentiellement sur les chorégraphies et le découpage, Koratala Siva nous rappelle tout son savoir-faire. On retiendra ainsi particulièrement une séquence spectaculaire juste avant l’entracte lors de laquelle le héros affronte cinquante pirates sur une plage. La tension est palpable, la scène est barbare et sanglante, le tout avec un sens du plan iconique qui force le respect.
D’autant que le cinéaste peut compter sur son casting. Héros inoubliable de RRR, NTR Jr semble prendre un immense plaisir à incarner les deux rôles principaux. Charismatique au possible, l’acteur porte tout le projet sur ses épaules. Face à lui, Saif Ali Khan joue un antagoniste délicieusement malsain. L’acteur nous rappelle par moments son immense rôle de méchant dans le chef-d’œuvre Omkara de Vishal Bhardwaj. On regrette de le voir totalement absent du grand combat final à cause d’une astuce scénaristique superficielle servant à le préserver pour le second opus.
Mais s’il y a bien un homme à qui il faut attribuer la plus grande réussite de Devara – Part 1, c’est sans aucun doute le compositeur tamoul Anirudh. Le génie de Kollywood nous offre un album redoutable qui n’a pas à rougir devant ceux de Jawan et Leo. Les thèmes musicaux sont si efficaces qu’ils transcendent de nombreuses séquences relativement banales. Toute l’énergie enragée qui fait parfois défaut à la mise en scène de Koratala Siva semble largement compensée par la bande-originale.
Loin d’être un modèle de réussite, Devara – Part 1 exige que son spectateur sache fermer les yeux sur de nombreuses limites. Mais pour d’un public en quête de spectacle généreux et original, le film offre une expérience très réjouissante. Un bon rappel de l’efficacité du grand spectacle à l’indienne.