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La séquence terrifiante du Silence des Agneaux : le twist infernal qui a marqué l’Histoire

Par Judith Beauvallet
8 octobre 2024
MAJ : 10 janvier 2025
Une séquence terrifiante qui a marqué l'histoire : Le Silence des Agneaux et son twist infernal © Canva, Orion Pictures

Le Silence des Agneaux est un chef-d’œuvre, on le sait. Mais l’une de ses séquences les plus emblématiques est particulièrement représentative de sa virtuosité et mérite d’être décortiquée. ATTENTION, SPOILERS !

En 1991 sort sur les écrans Le Silence des Agneaux, thriller décapant réalisé par Jonathan Demme d’après le roman de Thomas Harris et porté par ses deux interprètes principaux, Jodie Foster et Anthony Hopkins. L’une incarne Clarice Starling, étudiante du FBI particulièrement intuitive qui file un coup de main dans la recherche du terrible tueur Buffalo Bill, et l’autre est le légendaire Hannibal Lecter, psychopathe cannibale qui s’attache à Clarice et qui va l’aider tout en tentant de s’évader de prison.

Resté célèbre pour moult raisons, le film a notamment marqué l’histoire du montage grâce à la séquence qui précède son climax et dont le procédé est aussi trompeur que brillant. Dans celle-ci, le FBI pense avoir localisé le tueur et s’apprête à l’arrêter dans sa maison, tandis que la jeune Clarice, écartée par son patron pour sa sécurité, mène sa petite enquête de son côté. Sans que personne ne se doute que c’est en fait elle qui va débarquer chez le tueur, tandis que les forces du FBI se trouvent bien loin d’ici.

Oscar de la meilleure actrice et du meilleur acteur pour Foster et Hopkins

Clarice n’est plus ici

Au moment où le film, étonnant de bout en bout, en arrive à cette séquence, ce n’est pas la première fois qu’il retourne la tête de son spectateur. Par exemple, la toute aussi spectaculaire séquence au cours de laquelle Lecter s’échappe en prenant la place du corps d’un policier dans l’ambulance, en portant la peau du visage de sa victime comme un masque, joue déjà sur une sorte de montage alterné pour construire son suspens et sa révélation.

Mais à ce stade-là, l’effet de montage reste relativement discret, les allers-retours entre l’intérieur du Palais de justice et l’ambulance étant espacés et rares. Par ailleurs, tous les personnages se trouvent au départ au même endroit, avant que Lecter ne leur fausse compagnie. Absolument brillante, cette séquence et sa construction mettaient la barre très haut, mais il fallait bien que le climax du film réussisse à l’égaler, ou même la dépasser. C’est là que l’art de Craig McKay, monteur du film (et de Philadelphia, Cop Land et beaucoup d’autres) entre en jeu.

Lecter lecteur

La séquence qui nous intéresse va populariser le principe de montage alterné, tant elle va explorer au maximum tout ce que peut apporter ce procédé en termes de narration et de tension. Le principe est simple : toute la scène prépare le spectateur à penser que le FBI débarque avec plein de gros bras et de flingues chez Buffalo Bill (glaçant Ted Levine) et va lui régler son compte. Mais à la fin du montage alterné, c’est bien Clarice qui se retrouve, seule et inexpérimentée, face au tueur, tandis que les troupes du FBI ont débarqué dans une maison vide à des kilomètres de là.

L’enjeu est brutalement posé : Clarice va devoir comprendre la situation, appréhender l’un des pires psychopathes du pays et sauver sa prisonnière par elle-même et sans ressources, car son mentor et ses troupes ne pourront jamais arriver à temps pour l’aider. Comme si l’idée n’était pas assez terrifiante comme ça, le montage maximise l’ironie dramatique et la cruauté de la situation. Un travail qui passe essentiellement par les cadres et le son.

Clarice staring

Un Silence pas si silencieux

Le plus amusant est peut-être que la séquence commence par un raccord très clair : Clarice demande à l’une des personnes qu’elle interroge l’adresse d’un potentiel témoin, puis l’image passe sur un plan d’ensemble montrant une maison, et enfin sur Buffalo Bill qui parle à ses papillons. Au premier abord, le message est très clair : Clarice va se rendre à une adresse, qui sera celle de cette maison, dans laquelle se trouve Bill. On pourrait dès lors se douter de la suite des événements.

Mais un piège est posé dans ces trois plans : la maison montrée n’est pas celle où Clarice va se rendre (et donc pas non plus celle où se trouve Bill), c’est celle que va investir le FBI. Pour faire oublier un peu Clarice et la possibilité d’une erreur dans l’adresse, toute une stratégie va être déployée par le son. Tout d’abord, ce sont les aboiements de la chienne Precious, chez Bill, qui vont sortir le tueur de sa torpeur. Avec des raccords sur les agents du FBI qui commencent à encercler la maison, le réflexe logique du spectateur, dont l’œil est éduqué au montage, est de penser que l’activité extérieure a un rapport avec la tension qui monte à l’intérieur de la maison.

Impossible de tailler une bavette avec son papillon sans que le FBI ne vienne sonner à la porte

A partir de là, l’environnement chez Bill va devenir particulièrement bruyant : le dialogue hurlé entre lui et sa prisonnière, les aboiements de Precious, le vrombissement de la chaufferie, et enfin la sonnette tonitruante qui retentit plusieurs fois. A l’extérieur, les plans sur les agents du FBI sont presque totalement silencieux, véhiculant une impression de calme, de maîtrise et de confiance qui contraste avec le chaos du sous-sol de Bill.

Les raccords se resserrent, se précisent et se répètent pour bien faire le lien entre l’opération d’infiltration et le sous-sol de l’assassin, notamment avec le bruit de la sonnette, faible à l’extérieur et assourdissant à l’intérieur, qui fluidifie les raccords et ancre dans la tête du spectateur l’idée qu’il y a un lien direct et indiscutable entre les plans d’extérieur et ceux de l’intérieur.

Et ce même spectateur en retire une certaine satisfaction, outre l’élégance formelle du procédé : le FBI sait ce qu’il fait tandis que Bill est désemparé face à sa prisonnière qui s’est retournée contre lui, et toute l’opération devrait se dérouler à merveille. Le tueur sera arrêté et puni, et le FBI sera validé dans sa position d’institution toute puissante et ultra-performante.

Un autre type de lifting

Goodbye forces

Or il n’en sera rien, évidemment. Mais la supercherie est aussi induite par l’utilisation des cadres. Chez Bill, les valeurs de plan sont majoritairement resserrées sur les personnages, accentuant l’effet d’enfermement et d’inconfort déjà donné par le décor. Associés au chaos sonore décrit précédemment, ces cadres transmettent l’idée que Bill est envahi par la panique de voir sa chienne en danger, et en oublie totalement le contrôle de la situation globale, ne réfléchissant plus qu’à un niveau individuel. La caméra est nerveuse, ses mouvements suivant l’agitation du psychopathe.

Au dehors, les cadres sur les agents du FBI qui encerclent la maison sont plus larges, beaucoup plus fixes, et relatent au contraire une opération pensée dans sa globalité, les agents devenant les pions d’une stratégie aboutie plutôt que des individus faillibles. Encore une fois, tout se déroule pour le mieux. Sauf que c’est donc à Clarice que Bill ouvre la porte, tandis que le FBI enfonce la porte d’une maison vide.

Quand on est 50 flics contre 0 tueur

Retournement de situation à tous les niveaux : les cadres restent serrés sur Bill et larges sur les agents de Crawford, mais c’est désormais entre Clarice et Bill que les choses sont silencieuses et que la caméra est fixe, alors que c’est le chaos sonore et visuel du côté du FBI. Le tueur a donc encore beaucoup plus de maîtrise que ne le pensait le spectateur, et face au visage ignorant de Clarice, qu’on avait un peu oubliée, toute l’horreur de la situation apparaît à travers ce calme glaçant et soudain.

C’est la panique du FBI, finalement impuissant, qui exprime la panique du spectateur, tout aussi impuissant face à cette ironie dramatique. Le zoom sur le visage horrifié de Crawford, qui réalise le danger que court sa protégée alors qu’il est bien trop loin pour lui venir en aide (et qu’il aurait aussi mieux fait de l’écouter), mime le vertige ressenti par le public. Si l’on sait à quel point Clarice est en danger et la responsabilité qui pèse désormais sur elle, la jeune femme n’en sait encore rien, elle. Et de là découlera tout le suspens du climax du film, aussi brillant que le reste.

Une séquence capitale dans l’arc du personnage de Clarice

Alors que Le Silence des Agneaux remportera le Big Five aux Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur acteur et meilleur scénario adapté), il sera seulement nommé dans la catégorie meilleure montage, la statuette échappant à Craig McKay au profit de Joe Hutshing et Pietro Scalia pour JFK.

Mais la postérité sera la véritable récompense de cette formidable leçon de montage, tant le procédé du montage alterné sera repris par la suite. Citons, par exemple, l’hommage des Brasiers de la Colère, film de Scott Cooper sorti en 2013, dans lequel la séquence en montage alterné est remarquable et directement inspirée du Silence des Agneaux.

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Marc en RAGE

L’affiche du SILENCE DES AGNEAUX le visage de Clarice sur sa bouche le Papillon à la tête de Mort💀. Les marques sur le papillon tête de mort représente 7 femmes nues disposées en forme de crâne et sont basées sur une photographie de Dali.

Marc en RAGE

Cette scnéne ou Clarice toque à la porte elle tombe sur Buffalo Bill elle le questionne sur le propriétaire, Bill dit chercher les papier… Clarice entre dans l’appartement un papillon 🦋 le Sphinx à la tête de Mort ou Acherontia qui luit qu’elle est bien Chez BUFFALO BILL. Et pendant ce temps Crawford et le FBI se trompe d’appartement. un CLIMAX parfait je me souviens j’étais terrifié pour Clarice.

Ray Peterson

Une leçon de mise en scène et de l’art du montage. Implacable, indémodable et indépassable.
Perso, la révélation dans la SQ de l’ambulance est tout aussi bien vu! Le crescendo de la bande son avec la zik de Shore est un sommet de suspens! Chef d’oeuvre du grand Jonathan Demme.